Le Csapa Liberté de Bagneux a obtenu de l’Agence régionale de santé un financement spécifique en 2021 pour mettre à disposition des usagers du Csapa la buprénorphine d’action prolongée en dépôt sous-cutané (Buvidal). L’équipe a mené une étude rétrospective «OPALE: Modalités d’instauration, en vie réelle, au sein du Csapa, d’un traitement agoniste opioïde par Buvidal® et facteurs associés à sa réussite», que le Dr Alice Deschenau, psychiatre cheffe de service au Csapa Liberté, commente.
À lire dans le Swaps n°103
Au programme, l’usage de méthamphétamine en Polynésie française, un retour sur les «communautés thérapeutiques» et sur la légalisation du cannabis non médical au Colorado dix ans après et un article pour saluer la mémoire de Nicole Maestracci, disparue en avril 2022.
La prescription et l’administration de la buprénorphine d’action prolongée en dépôt sous-cutané sont autorisées uniquement en Csapa ou en milieu hospitalier depuis mars 2021. Dans notre Csapa, l’équipe comme les usagers étaient sensibilisés à l’arrivée du Buvidal, à la fois parce que nous avions parlé des formes d’action prolongée comme perspective d’évolution des traitements et parce que certains avaient participé à l’étude Ambre, qui interrogeait les perceptions des usagers de la substitution, à la fois en Csapa et en prison, vis-à-vis de la forme prolongée (cf. Swaps no 92-93). Il y avait donc une attente. Car il ne suffit pas qu’un médicament soit agréé et disponible pour qu’on puisse le dispenser… De plus, il faut s’assurer qu’on a les équipements, puisqu’on passe d’une forme orale à une injection. C’est tout bête, mais il faut penser au petit matériel, avoir une table d’examen ou des fauteuils adaptés à l’injection, que les équipes soient formées.
Ensuite, en tant que Csapa hospitalier, nous sommes rattachés à un établissement, donc à une pharmacie hospitalière. Il faut discuter avec les pharmaciens, présenter le médicament au comité du médicament pour qu’il soit au livret d’établissement… Il faut aussi s’assurer que le traitement est bien disponible auprès de la centrale d’achat que sollicite l’établissement, ce qui n’était pas notre cas. Ensuite, il a fallu mettre à jour le logiciel ProGDis pour ajouter le Buvidal dans les options thérapeutiques… Bref, entre l’autorisation du Buvidal et le début de son usage, il a fallu près de dix mois.
Vous avez bénéficié d’un budget spécifique de l’ARS, pour une expérimentation en quelque sorte ?
Nous avions indiqué à l’ARS qu’il nous faudrait des budgets pour pouvoir débuter cette offre de soins. Comme il y avait une forte attente dans notre file active, et que nous avions une estimation du nombre de personnes intéressées, cela nous a permis de faire un budget prévisionnel pour l’année 2021. L’ARS nous a soutenus, par des crédits non reconductibles, pour un début de prise en charge. Or, le Buvidal comme toute innovation thérapeutique coûte plus cher que la forme comprimé. La question, c’est comment on adapte les enveloppes budgétaires dédiées aux usagers des structures médicosociales comme les Csapa? Sachant que nous avons récupéré dans notre file active des usagers qui étaient auparavant en prescription en ville, et qu’il n’est pas logique de faire reposer le poids du coût du traitement sur le secteur médicosocial. Il nous semble urgent de soutenir l’accès à ces traitements d’action prolongée en proposant un financement pour tous les Csapa en capacité de participer à la dispensation de ces traitements.
C’est une petite cohorte que nous avons suivie, à l’aide d’un questionnaire préalable à l’induction (traitement en cours, attentes, craintes), un questionnaire de suivi à chaque injection rempli par les soignants (posologie, effi- cacité, ressenti) et un questionnaire semi-dirigé à 3 mois réalisé par un binôme psychologue/infirmier. Nous avons pu recueillir des données pour 34 patients avec une analyse de l’entretien à 3 mois pour 20 d’entre eux. Pour tous sauf un, il s’agissait d’un relais de la buprénorphine haut dosage sublinguale ou lyophilisat, pour des usagers traités depuis 131 mois en moyenne (presque 11 ans) prenant 18,5 mg/jour en moyenne.
Parmi les 24 usagers ayant poursuivi le traitement, 13 recevaient une posologie satisfaisante (pas de craving, pas de manque) dès la première semaine. Pour 8, la posologie s’est stabilisée en plus de 7 jours. L’absence encore de disponibilité du 160 mg peut avoir empêché la stabilisation de ceux qui requéraient ce dosage.
Dans l’étude, dix usagers ont arrêté durant la période du recueil, mais notons que certains ont repris depuis. Les causes évoquées pour ne pas poursuivre le traitement peuvent être liées à l’insatisfaction, aux effets secondaires trop conséquents… Parmi les 20 usagers qui ont participé aux entretiens qualitatifs, on retrouve plus d’effets indésirables que sous formes orales concernant la constipation, les sueurs, et de fait, la douleur à l’injection.
Mais depuis, on a aussi appris à mieux le gérer. La constipation, c’est un effet secondaire qu’on n’a pas vu venir. On peut imaginer, sur le plan pharmacologique que cette permanence de la buprénorphine dans l’organisme provoque un ralentissement du transit intestinal. Quoi qu’il en soit, on n’avait pas anticipé… On craignait évidemment la sédation, le sous-dosage, la question des autres usages de substance, mais pas l’inconfort de la constipation. De manière préventive, nous avons revu la question de l’hygiène alimentaire, de l’hydratation. Nous sommes plus vigilants et abordons ce point en amont. Ainsi, nous n’avons plus eu d’arrêt pour cause de constipation.
L’étude qualitative est en cours, mais nous avons quelques données. Sur 20 personnes, 16 avaient continué et 4, arrêté. 19 des 20 affirmaient que le Buvidal répondait à leurs attentes initiales, 19 ont rapporté spontanément un ressenti positif; 19 ont confirmé associer le Buvidal à un vécu de plus grande liberté. 15 des 20 ne regrettaient en rien l’ancien traitement.
Parmi ces 20, la moitié déclarait des changements au travail, dans les rapports avec les lieux du soin, dans les relations familiales, amicales, professionnelles. Le changement, ça peut être ambivalent. Par exemple, un usager shootait sa buprénorphine. Le changement au travail, pour lui, ça voulait dire ne plus être obligé de mettre des manches longues parce qu’il n’y a plus de traces d’injections. Pour un autre, le changement au travail, c’est qu’il avait perdu l’effet coup de boost qu’il avait en sniffant un comprimé de buprénorphine avant de démarrer la journée. D’autres ont parlé de la perte de ce coup de boost (même en prise orale), ont dit être plus longs au démarrage, mais ils trouvaient aussi que leur énergie était plus égale au long de la journée… Il ne s’agit pas de dire ce qui est mieux ou ce qui est moins bien, mais cela opère un changement, une nouvelle manière de ressentir la journée.
Le gros changement se situe au niveau de ce qu’on a caractérisé comme de la charge mentale, la place que prenait cette prise de médicaments dans l’organisation du quotidien, la panique s’il n’y a pas le comprimé… Tout ce que ça change de ne pas devoir anticiper, dès qu’on veut aller quelque part, prévoir une activité hors de ses habitudes… Pour les usagers les plus précaires, le fait de ne pas avoir de boîte, c’est moins de risques de se faire racketter, ou de perdre les cachets… Toutes ces améliorations en termes de qualité de vie sont intéressantes et nous ont été relayées par les usagers. Cette prise simplifiée du traitement fait gagner du temps, du temps de cerveau disponible et offre de la continuité dans l’effet thérapeutique.
Il faudra des analyses médico-économiques pour estimer les gains en termes de qualité de vie, vérifier s’il y a moins de mésusage, les bénéfices en termes de santé. Et revoir le modèle de financement qui est problématique : soit on donne des lignes budgétaires aux structures pour qu’elles puissent dispenser le Buvidal, soit on envisage l’administration en officine par des pharmaciens, à l’heure où ils réalisent des injections sous-cutanées notamment pour les vaccins, plutôt pour des patients aux posologies stabilisées au préalable. Cela favoriserait l’accès, parce que les patients qui peuvent prétendre à ce traitement-là sont loin d’être tous dans les Csapa, les hôpitaux ou les prisons… C’est aussi une question d’équité.
Propos recueillis par Christelle Destombes.

source

Étiqueté dans :

,