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Chaque année, sur la plus petite des quatre grandes îles japonaises, des milliers de pèlerins rallient en une longue et pénible boucle de 1 100 km, les 88 temples bouddhiques d’un parcours initié au IXe siècle. Un condensé de culture et de civilisation.
Le Kojiki, plus vieux texte connu au Japon (712), touffu canevas de mythes et légendes sur l’origine de l’archipel, relate les aventures ébouriffantes des divinités shinto, les kamis. On y apprend notamment comment deux kamis coquins engendrent une île avec un corps affublé de quatre visages. Shi : quatre, koku : pays. Voilà servis les amateurs d’étymologie nippone. Les quatre régions de la légende, Awa, Tosa, Iyo et Sanuki, sont officiellement devenues des préfectures aux noms différents, mais les anciens patronymes restent en usage au sein d’une population toujours prompte à convoquer les dieux.
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Un essaim de pèlerins chapeautés, du genre à digérer une demi-douzaine de temples dans la journée, s’échappe d’un bus devant le Fuji-dera. Les chasubles blanches frappées des idéogrammes « mon action diffuse la foi du Bouddha » s’éparpillent autour du bassin d’ablution du temple n°11. Bouches et mains sont soigneusement rincées, les bâtonnets d’encens sont allumés, le gong vibre de tout son bronze, les fidèles, âgés pour la plupart, se rassemblent mains jointes face au temple pour se recueillir sous la conduite de leur sendatsu, un vétéran du circuit qui remplit bravement les fonctions de guide spirituel, accompagnateur, conteur et nounou d’occasion. Après quelques psalmodies menées brides abattues, le groupe regagne le bus en quelques craquements de jointures. C’est qu’avec 11 jours seulement pour compléter la boucle des 88 temples, il ne faut pas mollir.
La statue de Kukai armé de son bâton à clochette envisage la débandade de son œil d’airain. Kobo Daishi –Grand Saint- comme on l’appelle aussi, est le père fondateur de l’école bouddhique Shingon et l’initiateur, du hachijuhakkasho, le parcours des 88 lieux sacrés. Voilà bientôt 12 siècles, ce fin lettré fit le tour de l’île afin d’en pacifier les montagnes encore sauvages et d’y répandre la foi bouddhique. Depuis, des milliers de fidèles rompent chaque année avec leur quotidien, s’extirpent un moment de la pesante hiérarchie sociale pour suivre ses traces et tâcher de gagner quelque mérite par cette grande circumambulation.
Quelques assoiffés de spirituel vont jusqu’à se mettre en rupture de ban et consacrent leur vie à tourner de temple en temple. Pourtant la route des 88 temples ne pèche vraiment pas par rigorisme : elle n’a ni commencement, ni fin, elle n’est que giration. Même si les temples sont judicieusement numérotés de 1 à 88, il n’est nul besoin de les visiter dans l’ordre ou de commencer par le premier. Les henros – c’est ainsi que l’on nomme les pèlerins – font le tour seuls ou en groupe, à pied, en vélo, en voiture ou en bus, ils peuvent aussi, s’ils le désirent n’en faire qu’un bout. Un pèlerinage à la bonne franquette…
Passé le temple de Tairyo-ji – n°21 pour les matheux – le chemin s’enfonce soudain au cœur d’un bois de bambous. Au-dessus des têtes, les hautes frondaisons s’agitent, malmenées par le vent, sur un fond de ciel exceptionnellement bleu. Les longues tiges serrées et frêles donnent l’impression de n’être plus qu’un modeste insecte traçant sa route sous les fines graminées de nos campagnes au mois de juin. Au moindre coup de vent, cela s’agite et tremble dans des grincements de vieux gréements. La nature fourmille de signes : les fudas, bandelettes de papier portant les coordonnées du pèlerin, noués dans le vert des arbres, les henro ishi, ces bornes en pierre faites pour guider le pèlerin, qui sommeillent sous la mousse le long du sentier, et puis tous ces petits bouddhas de carrefour, complices et bienveillants, les jizos, affublés d’incongrus bavoirs d’enfant. Assis sous les buissons et les épines, le temps et les lichens leur ont mangé des morceaux de figure.
Passé le temple n°23, le pèlerin pénètre dans le Tosa, région qui souffre hélas d’une piètre réputation. Dommage, car même si elle compte peu de temples, un tiers au moins du parcours s’y déroule. C’est la partie la plus sauvage et la plus reculée du circuit. Tosa a longtemps été décrite comme un pays hanté par les démons, peuplé de paysans rapiats et malcommodes peu enclins à ouvrir les lourdes portes de leurs fermes pour y offrir le gîte ou pratiquer le settai, cette aimable tradition d’offrande au pèlerin.
Mais il faut se méfier des réputations, à commencer par les plus sales. C’est que depuis des siècles, la province est une rebelle. Dès le XVIe siècle, elle s’insurge contre le nouveau shogunat des Tokugawa. Au XIXe, lors de la révolution Meiji, les habitants, décidément hostiles aux changements, sont les plus farouches adversaires de l’ouverture sur l’étranger. Enfin et surtout, la région, très attachée à la tradition shintoïste, s’est toujours montrée réfractaire au bouddhisme, cette religion douteuse venue de Chine et d’autres pays qu’on ne saurait nommer. Voilà bien le fond du problème !
Le temple suivant, le Konomine-ji (n°27) est un nansho, comme on appelait dans le temps les temples aux conditions d’accès périlleuses. La grimpette qui emprunte désormais une route bitumée n’a plus rien de bien redoutable, mais n’en est pas moins raide. Entassées dans des minibus, des petites vieilles au teint de lys et de rose nous encouragent et nous applaudissent comme si nous finissions de grimper le Tourmalet. Furtifs moments de gloire. Dans l’enceinte du temple, une Yamabushi mène un groupe de 18 pèlerins tambour battant, en s’époumonant dans une conque. Les Yamabushi, littéralement « ceux qui se cachent dans la montagne », sont des ermites adeptes d’une certaine ascèse pimentée de rituels carabinés, comme barboter sous une cascade d’eau glacée pendant des heures ou réciter des sutras suspendu par les pieds du haut d’une falaise. Autant de saines et fortifiantes activités qui permettent d’accéder à des sphères de connaissance supérieures.
Le soir, au ryokan, l’auberge traditionnelle, une ambiance de colonie de vacances fait résonner les cloisons de papier, vibrer le parterre de tatamis. Rires chevrotants et exclamations rustaudes viennent ponctuer la veillée d’une trentaine de henros visiblement ravis d’en avoir fini avec les prières de la journée. Les bains sont pris d’assaut, les couloirs s’engorgent d’hommes et de femmes en yukata, serviette sur le bras et savonnette à la main, et puis c’est le grand ballet des pantoufles traînées sur la paille de riz des couloirs, la longue plainte déchirante des tatamis martyrisés par le troupeau de savates.
Quand il parvient dans le nord-ouest de l’île, le henro sait que le plus dur est fait. La sagesse est désormais à portée de semelle. Des centaines de longues bannières rouges et bleues s’ébrouent le long du chemin qui monte vers le temple Iwaya-ji (n°45). Chacune porte le nom de son donateur avec le vœu qu’il a formulé. Outre les conventionnels et intéressés « Que mes affaires soient fructueuses », « Prospérité pour mon business » ou « Succès pour mon entreprise », on trouve quelques invocations plus touchantes comme « Paix dans le monde », « Que je puisse guérir de ma maladie » ainsi qu’un poignant « Je veux survivre ! »
À 30 km de là à vol de corbeau, la ville de Matsuyama célèbre le Hanami, la fête du retour du printemps et de l’explosion des fleurs de cerisiers. C’est le temps des pique-niques populaires sous les efflorescences rouges, roses et blanches, l’occasion non pas de se livrer aux joies de la botanique, mais plutôt d’écluser quelques gorgeons de bière en compagnie de sa famille ou de ses amis. Dans les parcs, des groupes de joyeux drilles se réunissent sur les tatamis de location, font griller les saucisses sur des barbecues livrés avec leurs braises déjà rougeoyantes. Des femmes au teint blafard d’archiduchesses de la cour d’Autriche trinquent bruyamment avec des lurons aux joues écarlates dans une ambiance festive et campagnarde qui n’aurait pas manqué d’inspirer Bruegel l’Ancien.
Sanuki, aujourd’hui préfecture de Kagawa, se révèle pour le pèlerin exténué, parvenu en fin de cycle, comme le lieu de l’achèvement. C’est vers le sud de la province, à une vingtaine de kilomètres de la côte, que se trouve l’Okubo-ji, le temple n°88 qui n’est pas pour autant l’ultime étape puisqu’il reste à rallier le temple n°1, le yozen-ji dans l’Asa pour compléter la boucle. Les pétales des fleurs de cerisiers décident de larguer les voiles. Le sol semble couvert de neige. Dans les temples engourdis, les filets de fumée agonisent dans les grands brûle-parfum de bronze.
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« La cloche s’est tue, reste le parfum des fleurs, voici le soir ». Basho, grand maître du haïku, savait capturer l’essence des choses et des êtres en quelques mots ciselés. Comme un haïku, le chemin des 88 temples, tour à tour léger et grave, cocasse et solennel, donne à l’humble pèlerin occidental un aperçu de la complexité japonaise, quelques morceaux d’une civilisation qui échappe à toute tentative de classification ou simplification. À défaut de Nirvana, c’est toujours cela de pris.
Rejoindre Shikoku
ANA, 1re compagnie aérienne japonaise et classée compagnie 5 étoiles, dessert Tokyo Haneda tous les jours au départ de Paris à partir de 610 TTC A/R. Puis vol Tokyo – Matsuyama (1h20) à partir de 200 environ l’A/R. Tél. : 0805 54 24 67, www.ana.fr ou alors en train de Tokyo : 4h45mn par le Shinkansen Nozomi pour rejoindre la gare de Takamatsu.
Quand y aller
À Shikoku, le printemps est moins pluvieux que le reste de l’année et connaît des températures agréables. C’est aussi la saison de la floraison des cerisiers (entre le 20 mars et le 10 avril pour la région). L’automne est également une période excellente pour découvrir l’île, alors parée d’or et de rouille grâce à ses nombreux érables.
Où loger
Iya Onsen. Cet établissement hôtelier surplombe toute la vallée d’Iya dans les montagnes de Shikoku. Un funiculaire permet d’accéder 170 mètres plus bas à de pittoresques et apaisants rotenburo, des bains chauds en plein air. À partir de 340 €.
Setouchi Retreat Aonagi. Perchée au sommet d’une colline près de Matsuyama, une retraite confidentielle de huit suites prestigieuses dotées de baies vitrées de 8 mètres de haut ouvertes sur le ciel et la nature. Un écrin de luxe minimaliste conçu par le grand architecte Tadao Ando pour une expérience hors du commun. À partir de 930 €.
Avec un tour-opérateur
Terres d’aventure, spécialiste du voyage à pied, propose un circuit de 16 jours à réaliser en individuel à l’aide d’un roadbook. L’itinéraire est un condensé du pèlerinage, passant par les paysages les plus intéressants et les temples les plus majestueux. «Shikoku, sentiers du pèlerinage des 88 temples» à partir de 4650 € par personne pour une base de 2 personnes.
Hérétique
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La 4ème photo du haut au bas montre la table dressée bien à la japonaise. On note qu’une seule cuillère est placée sur la table, aucuns couteaux ni baguettes (hashi). Selon la tradition, chaque convive samouraï apporte ses propres baguettes et couteau, tout caché dans les côtes extérieures d’évetail repliable porté par les samouraïs conscients de mode homme élégante.
Hérétique
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La plupart des pèlerins Japonais ne portent que la tenue partiellement traditionnelle. On n’y voit pas un seul samouraï en habit historique à deux sabres engainés inserrés dans la ceinture large obi.
Chris Bourbon 1
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Shuikoku devrait être la destination des récents divorcés.
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D’un temple l’autre à Shikoku, sur le chemin du plus vieux pèlerinage du Japon
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