L’épaule appuyée contre une brise douce et régulière, « Nacira » file ses 8 nœuds sur la longue houle du Pacifique. Entre les îles sous le vent, de hauts cumulus tropicaux d’un blanc éclatant saluent la route du voilier rochelais. Grand-voile et génois bien réglés, navigation paisible. À la barre, le skipper sourit : « prendre la météo avant le départ, mais pourquoi donc ? »
Depuis qu’il a établi son camp de base à Tahiti en 2014, Benoît Parnaudeau déroule le bonheur de naviguer dans les eaux de la Polynésie française. Ce jour d’avril, il trace son cap entre le Yacht-club de Tahiti et l‘île de Raiatea, située à une centaine de milles dans le Nord-Ouest. Ou comment naviguer dans…
Depuis qu’il a établi son camp de base à Tahiti en 2014, Benoît Parnaudeau déroule le bonheur de naviguer dans les eaux de la Polynésie française. Ce jour d’avril, il trace son cap entre le Yacht-club de Tahiti et l‘île de Raiatea, située à une centaine de milles dans le Nord-Ouest. Ou comment naviguer dans la carte postale.
Construit à l’origine pour disputer l’édition 2006 de la Route du rhum, « Nacira » (auparavant « Jardin Bio ») avait aussi été pensé pour recevoir les aménagements ultérieurs assurant un minimum de confort en vue d’un grand voyage en famille. C’est ainsi qu’avec Anne-Mai Do Chi, sa compagne, Isis et Miles, leurs enfants, « Ben » quittait La Rochelle en 2013, pour une durée indéterminée. Les Antilles rejointes dans le sillage de la Mini-Transat, puis le canal de Panama, l’Equateur, avant que « Nacira » frappe à la porte de la Polynésie française sur le perron des Marquises. Tahiti, enfin. « Notre projet de voyage, c’était la Nouvelle-Zélande, mais il ne restait que 2 000 euros dans la caisse de bord », évoque le marin. Papeete retient finalement la petite famille.
La chevelure hirsute reste invariablement décoiffée dans l’alizé. Tempes grises et cap tout proche de la cinquantaine. « Ben » l’envisage plus amicale que rugissante. Dans la marina, il répare les voiliers que la longue traversée du Pacifique a éprouvés. Tandis qu’au cluster maritime de la Polynésie, Anne-Mai a pris les responsabilités du secrétariat général et soutient le développement des filières maritimes des archipels polynésiens.
Pas de projet de retour à La Rochelle en vue. La question accroche même un petit sourire en coin à cette face burinée. Les copains que le skipper a laissés sur le quai du bassin des Chalutiers sauront décrypter. Ponctuellement d’ailleurs, certains font le voyage pour noyer douze heures de décalage horaire dans une marée haute de souvenirs. Des récits de frères de la côte devant une Hinano, la sacro-sainte bière du pays.
La nuit tombe, célébrant au zénith une Voie lactée piquée d’étoiles en haute définition. Le Pacifique en format XXL. Quinze heures de navigation sont prévues. C’est un déplacement professionnel. Qui l’eut cru ? À Raiatea, Benoît et ses deux équipiers, Christophe Monnier et Florent Montaufray, doivent rencontrer Thierry Lison de Loma pour une nouvelle étape dans la construction de leur projet de cordage fait de fibres de coco. Une mise au goût du jour d’une technique traditionnelle. Chercheur en agronomie et biologie marine, Thierry y est établi depuis vingt ans. Vaihuti Fresh, son entreprise, produit en permaculture des légumes bio. Benoît et lui étaient en 2019 finalistes du concours de la French Tech et depuis, leur projet mûrit. Sous peu, Florent Montaufray recevra de la corderie Lancelin – la société mayennaise réputée qui l’a missionné pour la démarche –, une machine pour enrouler les torons, produire les cordages : le « cocorig », nom que les créateurs donnent à leur produit.
« 60 millions de cocos sont produites en Polynésie dont 48 millions servent à extraire le coprah », explique Benoît. Pressée, cette amande donnera son huile, le composant de base du célèbre monoï. C’est sur le chemin de la valorisation de la bourre de coco, la « coque », que s’engage cocorig. Fermes perlicoles consommatrices de cordages pour monter leurs chapelets d’huîtres, agriculture, nautisme, opérations de levage, les débouchés sont variés. « Notre problématique est d’adapter la fabrication à chaque usage », résume Florent Montaufray. Le projet est labellisé par le Programme régional océanien pour la gestion durable des écosystèmes (Protege) qui vise à promouvoir les initiatives de développement économique face au changement climatique, en s’appuyant sur la biodiversité et les ressources naturelles renouvelables.
Benoît n’est plus à une innovation près. On se souvient du partenariat qu’il avait noué en son temps avec l’Ecole supérieure du bois de Nantes pour construire son 40 pieds de course en strip planking, technique moderne de fabrication en bois. Le voici qui revient à la charge, mais cette fois côté gréement. Avec Christophe Monnier, saisissant les temps morts offerts par la crise sanitaire, le Rochelais s’est aussi attaché à mettre au point un hauban concurrentiel des traditionnels câbles inox utilisés par maintenir les mâts. Le matériau de base, c’est le dyneema, une fibre de polyéthylène ultrarésistante qui présente l’avantage d’encaisser aussi bien les mises en tension que le vieillissement au soleil et aux embruns, tout en étant dix fois plus légère que l’acier.
« Nous avons trouvé la solution pour enrouler le dyneema dans une gaine, autour d’un ‘‘œil’‘ », résume Christophe Monnier, un technicien venu de la maintenance nucléaire et passionné de régate qui a profité de la mutation professionnelle de son épouse en Polynésie française pour musarder du côté du yacht-club de Tahiti. « Le bateau est un petit monde et de fil en aiguille, Benoît m’a parlé de cette histoire de haubans, pour savoir si on arriverait à adapter une machine à la longueur de fabrication souhaitée. » Ils ont trouvé, un brevet a été déposé, une société est née au capital de laquelle se retrouvent les deux partenaires, la voilerie Ancelin, et la Banque d’investissement BPI. Benoît aurait-il trouvé en Polynésie ce « bon chemin », sens du mot « Nacira » traduit de la langue l’arabe ?