Le lori de Kuhl, aussi appelé lori de Rimatara, endémique de la Polynésie française, est en danger critique d’extinction. Il ne reste que 1 500 individus à l’état sauvage. Un tiers d’entre eux vivent sur l’île de Rimatara, où ils sont confrontés à la destruction de leur habitat.
RIMATARA, POLYNÉSIE FRANÇAISE – Chaque jour, au lever du soleil, sur la petite île de Rimatara, Tiraha Mooroa part courir avec un chien dénommé Koha, un border terrier. Ce dernier a une mission importante : renifler et tuer tous les rats noirs qu’il trouve.
Koha est l’unique moyen de défense de l’île contre ces rongeurs envahissants. Il est essentiel de protéger l’île des rats : arrivant par bateaux et cargos, ils sont la plus grande menace pour les oiseaux indigènes des îles du Pacifique. Ils sont extrêmement doués pour trouver les nids et s’attaquer aux œufs.
Une espèce est particulièrement importante : le lori de Kuhl, un magnifique oiseau à la poitrine pourpre et à la crête verte et bleue. Endémique de la Polynésie, le lori est en danger critique d’extinction : il ne reste plus que 1 500 individus à l’état sauvage. Un tiers de toute cette population vit sur la minuscule île de Rimatara. Les efforts déployés pour protéger cette espèce mettent en lumière les défis uniques que représente la sauvegarde d’une espèce très concentrée dans une seule petite zone vulnérable.
« Chaque fois que le cargo arrive, je m’y rends avec Koha et nous vérifions chaque conteneur qui arrive à terre », explique Mooroa, qui travaille pour l’association de conservation Rima Ura. « S’il sent l’odeur d’un rat, les gens font un cercle autour du conteneur, puis l’ouvrent… et Koha s’occupe du reste » en exterminant le rat.
Les efforts du chien ont porté leurs fruits. « Koha est notre protecteur, c’est notre star », dit Mooroa en souriant. Sur les 118 îles et atolls de Polynésie française, Rimatara est l’une des trois seules îles sans rats noirs. Mooroa s’est engagé à ce qu’il en soit ainsi.
 
Rimatara, île de Polynésie française d’une superficie de 9 km², est bordée de plages de sable blanc et de cocotiers. Dans les trois petits villages et les nombreux champs de taro, les panneaux, arrêts de bus et bâtiments portent tous des images de l’emblème et de la mascotte de l’île : le lori de Kuhl, aussi appelé lori de Rimatara.
Connu en Polynésie française sous le nom de ‘Ura, qui signifie rouge, le lori était autrefois très répandu dans le Pacifique Sud. Cependant, au 18e siècle, il avait déjà été chassé jusqu’à l’extinction par les Polynésiens, qui appréciaient les plumes rouges de l’oiseau pour la confection de manteaux et de coiffes. Au début du 20e siècle, les loris ne vivaient plus que sur Rimatara, où la reine de l’île, Temaeva V, avait interdit la chasse aux oiseaux, préservant ainsi la population restante, qui est restée stable tout au long du siècle.
Depuis les années 1990, ces oiseaux sont toutefois confrontés à des menaces de plus en plus présentes sur Rimatara, ce qui a fait chuter leur population sur l’île de 1 000 individus en 1992 à environ 500 aujourd’hui. Si la perspective de voir les rats noirs prendre pied sur l’île serait un désastre pour le lori de Rimatara, d’autres facteurs tels que la destruction de l’habitat et la concurrence pour les nids expliquent la diminution des effectifs.
En 2007, afin de rétablir une population de loris sur une autre île, vingt-sept de ces oiseaux ont été déplacés de Rimatara vers l’île d’Atiu, dans les îles Cook.  Le projet de conservation, organisé par Rima Ura, le Cook Island Natural Heritage Trust et divers partenaires gouvernementaux et internationaux, a connu un grand succès. Aujourd’hui, sur Atiu, la population de loris est passée à au moins 400 individus. L’espèce survit également en petit nombre sur plusieurs atolls des îles Kiribati.
À l’avenir, « il ne restera peut-être plus qu’Atiu », affirme Caroline Blanvillain, fondatrice de Rima Ura et responsable de la conservation à la Société d’Ornithologie de Polynésie. Cependant, puisqu’il en reste 500 à Rimatara, « nous avons ce que j’appelle une marge avant l’effondrement ». Les loris, surnommés vini, ce qui signifie conversation ou bavardage, sont appréciés pour leur charisme. « Ces oiseaux sont constamment en train de se parler entre eux. Lorsqu’on les entend puis qu’on les voit, on devient très enthousiaste à l’idée de les protéger », ajoute Blanvillain.
 
Debout sous un arbre où niche un couple de loris surnommé « nid numéro 12 », Samuel Ravatua-Smith transfère sur son iPad une nouvelle vidéo de la caméra qui surveille le nid. Il espère avoir une vue des deux nouveaux oisillons.
Ravatua-Smith, chercheur en socio-environnement, dirige un programme d’observation des nids lancé par Rima Ura en 2021 afin de mieux comprendre le lori et le déclin de sa population. Financé par l’Office français de biosécurité, le programme suit et surveille tous les nids de loris de l’île grâce à des caméras connectées en Bluetooth. Ces caméras, qui se déclenchent en cas de mouvement, permettent de suivre les individus extérieurs qui pourraient s’introduire dans les nids. 
Le visage de Ravatua-Smith se décompose lorsqu’il regarde les images. Il parle dans l’iPad pour enregistrer ses observations : « Les vidéos confirment qu’après la visite d’[un] phaéton à bec jaune, les deux petits ne sont plus dans le nid. C’est un événement de prédation confirmé ».
C’est une découverte importante qui permet à Rima Ura de faire un pas de plus vers la conservation du lori. Les images révèlent que le phaéton à bec jaune pourrait cibler et s’emparer des nids de loris en raison de la perte de son propre habitat, explique Ravatua-Smith.
 
De même, Ravatua-Smith et Blanvillain pensent que la perte d’habitat pourrait être la principale raison du déclin spectaculaire de la population de loris à Rimatara. Entre 2006 et 2008, un aéroport, une piste d’atterrissage et les premiers hébergements touristiques ont été construits sur l’île, ce qui a entraîné le défrichement d’immenses étendues de terre.
Cette année, près de 100 nouvelles maisons devraient être construites, en raison d’une nouvelle initiative gouvernementale visant à fournir des terres et des logements aux résidents dans le besoin. Le défrichement et la construction pourraient finir par toucher plus de la moitié de l’île.
Pour atténuer les effets de la perte d’habitat, Rima Ura s’efforce d’éduquer les habitants de Rimatara sur la manière dont ils peuvent contribuer à protéger le lori, en les encourageant par exemple à planter davantage d’arbres fruitiers autour de leurs maisons. L’association s’est transformée en une véritable initiative communautaire : elle compte désormais plus de 400 membres, soit environ la moitié de la population de l’île. Les membres de Rima Ura qui vivent sur l’île marquent également les arbres de nidification et participent aux initiatives de reforestation. Ils plantent actuellement des arbres adaptés aux loris sur le haut plateau inhabité de l’île.
« Il y a un proverbe hawaïen : “ʻAʻohe hana nui ke alu ʻia”, qui dit qu’aucune tâche n’est trop grande quand on travaille ensemble. J’y crois vraiment. Et ça me donne de l’espoir pour l’avenir », confie Ravatua-Smith.
Tehio Pererina, institutrice de 62 ans et présidente de Rima Ura, éprouve une immense fierté pour le travail effectué par le groupe. « Avant, je n’avais aucun amour pour les arbres, pour la nature », raconte-t-elle, assise devant sa salle de classe. « Ce n’est que lorsque j’ai rejoint Rima Ura que tout a changé. On m’a donné la responsabilité de faire quelque chose de plus, de travailler avec le cœur. Les ‘Ura, cette île, c’est notre héritage. Nous devons le préserver. Faire tout ça, ça nous apporte tellement de bonheur. »
Tiare Tuuhia est une rédactrice indépendante établie en Polynésie française. Elle écrit sur les îles du Pacifique, les voyages, la parentalité et la culture.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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