La France fête les 10 ans de la départementalisation de Mayotte. Revendication de longue date pour mieux ancrer le territoire de l’océan Indien dans la République française, elle était la promesse de changements de la structure sociale et sociétale de l’archipel. Quel bilan après 10 ans ? Les progrès attendus ont-ils eu lieu ? Les craintes partagées alors se sont-elles transformées en problèmes ? Pour éclairer ces questions, Outre-mer la1ère s’est penchée sur plusieurs aspects de la société mahoraise : la population, la scolarisation, l’emploi et le niveau de vie. Des progrès, des reculs, des retards… La preuve par les chiffres.
Mayotte est un département jeune par son statut, mais aussi par sa population : 23 ans en moyenne en 2017, contre 41 ans dans l’Hexagone, 35 ans à La Réunion – l’autre département français de l’océan Indien – et 28 ans en Guyane. Le début des années 2010 et la départementalisation ont coïncidé avec plusieurs évolutions notables en termes de démographie, pas forcément celles attendues par les Mahorais.

 L’explosion démographique s’est accélérée
Lors du dernier recensement officiel de l’INSEE en 2017, 256 518 personnes habitent Mayotte. C’est 43 900 habitants de plus qu’en 2012, c’est-à-dire 3,8% de plus chaque année au regard du précédent recensement. Au cours des cinq années précédentes (entre 2007 et 2012), la population avait augmenté moins rapidement (+2,7% par an).
Dès 1991, le rythme de croissance a ralenti, bien que la population a continué d’augmenter nettement, puisqu’elle a quasiment triplé depuis. Après la départementalisation, la croissance démographique s’accélère de nouveau. Cela se manifeste par le redressement de la courbe du graphique (à gauche) qui matérialise l’évolution de la population. 

En 2017, Mayotte est, de loin, le territoire français où la population croît le plus rapidement (au centre). Et les projections laissent penser que le nombre d’habitants pourrait encore doubler voire tripler au cours des trois décennies à venir. Toujours selon l’Institut national de la statistique, à l’horizon 2050, entre 440 000 et 760 000 personnes vivraient à Mayotte. Si la natalité est le principal moteur de la démographie mahoraise, elle reste fortement liée à l’évolution du flux migratoire, c’est-à-dire au nombre des arrivées et des départs.

► L’immigration est repartie à la hausse
L’augmentation de la population mahoraise tient donc largement à sa forte natalité, qui est elle-même grandement influencée par l’immigration. Les femmes natives de l’étranger ont une fécondité bien plus élevée que les Mahoraises et pèsent lourdement sur le nombre record de naissances observées chaque année dans le 101e département. Avec 5,0 enfants par femme à Mayotte, la fécondité augmente : “elle progresse par rapport à 2012 (4,1 enfants par femme), alors qu’elle avait été divisée par deux entre 1978 et 2012”, pointe l’INSEE. De plus, elle dépasse toujours largement la moyenne métropolitaine (1,9 enfant par femme).
 
Entre 2012 et 2017, 25 900 personnes ont quitté Mayotte, c’est presque deux fois plus qu’au cours des cinq années précédentes (-14 900 entre 2007 et 2012). Il s’agit principalement de jeunes âgés de 15 à 24 ans qui profitent de démarches facilitées pour poursuivre leurs études ou chercher un emploi dans l’Hexagone. Mais parallèlement, le nombre d’étrangers arrivant à Mayotte explose après 2010 : 32 500 personnes sont arrivées entre 2012 et 2017, soit 10 fois plus qu’entre 2007 et 2012. La départementalisation coïncide avec une arrivée massive de femmes âgées de 15 à 34 ans, accompagnées de leurs enfants. 

Ces migrations dépendent de plusieurs paramètres et notamment de l’évolution du contexte économique, social et sanitaire de Mayotte, dont l’image a évolué en même temps que le statut, aux yeux des populations des territoires avoisinants, principalement des Comores. En 2017, 47,86% de la population habitant Mayotte est de nationalité étrangère contre 40% en 2012 et 29,9% en 2007 (graphique de gauche)

Le Défenseur des droits évaluaient à 30 000 le nombre d’étrangers qui résidaient à Mayotte en situation irrégulière en 2017 – soit 11,7% de la population totale, alors que le nombre de mineurs non accompagnés s’élevait à environ 4 000. Bien que dépourvues de titres de séjour, nombre de ces personnes ont elles aussi des droits en matière d’éducation, de santé, de sécurité. 

► Une politique d’expulsions évolutive
Le nombre d’éloignements des étrangers augmente jusqu’en 2010, date de la départementalisation. Au cours des huit années suivantes, les reconduites à la frontière tendent à diminuer progressivement, à l’exception d’un rebond en 2014. Il s’agissait alors, affirmait le préfet de l’époque Seymour Morsy, de lutter contre l’augmentation de la délinquance et notamment des agressions contre les personnes en hausse de 24% en un an. Sorte de constat d’échec de la départementalisation dont les Mahorais attendaient qu’elle enraye fortement les violences. 

En 2018, année marquée par un fort mouvement social contre l’insécurité et l’immigration clandestine, qui avait paralysé l’île pendant plusieurs semaines au premier semestre, le nombre de reconduites à la frontière s’est établi à 15.000, son plus bas niveau depuis 2006. L’année suivante, en 2019, plus de 27 000 personnes ont été expulsées, soit plus de 10% de la population. De jamais vu, dépassant même les objectifs fixés
Conséquence des flux migratoires importants, une grande partie de la population mahoraise vit avec très peu de ressources, relève l’INSEE en 2018 : “77 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté national, soit cinq fois plus qu’en métropole”.

► Le chômage à un niveau record en France comme en Europe
Les jeunes, les femmes et les étrangers sont les trois groupes les plus durement touchés par le chômage à Mayotte. En 2016, Mayotte devient le département français avec le plus fort taux de chômage, c’est même le record dans l’Union Européenne. Les jeunes sont particulièrement concernés, explique l’INSEE, 47,2% des 15-29 ans sont touchés. En 2017, le taux de chômage recule légèrement pour la première fois. Mais il repart à la hausse dès l’année suivante car, alors que la population en âge de travailler augmente, le nombre d’emplois diminue, notamment à cause de la baisse des contrat aidés. D’une manière générale, mis à part un fort rebond au 2e semestre 2018 (35%), le chômage tend à se stabiliser à partir de 2016, alors qu’il avait fortement augmenté auparavant. 

Les 13 200 emplois créés entre 2009 et 2018 n’ont pas été suffisants compte tenu de l’augmentation de la population : sur la même période, Mayotte enregistre 40 000 habitants supplémentaires en âge de travailler, les trois quarts étant nés à l’étranger, pour la plupart aux Comores. 

Les études de l’INSEE se basent sur les taux de chômage au sens du BIT, le Bureau International du travail. Un chômeur est une personne de 15 ans ou plus, n’ayant pas eu d’activité rémunérée lors d’une semaine de référence, qui est disponible pour occuper un emploi dans les 15 jours et qui a recherché activement un emploi dans le mois précédent. Ainsi, toute personne indisponible pendant deux semaines consécutives est exclue de la catégorie “chômeurs”. Il ne prend pas non plus en compte les personnes qui vivent de l’économie informelle et ne se déclarent pas à la recherche d’un emploi. Ainsi, en 2017, plus de 30 000 personnes sans emploi qui souhaitent travailler n’étaient pas considérés comme chômeuses.

► Un niveau de vie six fois plus faible que dans l’Hexagone
Les trois quarts de la population de Mayotte vit sous le seuil de pauvreté national, soit plus de 200 000 personnes dont 110 000 mineurs. C’est en légère baisse par rapport à 2011 (84%). Les personnes originaires de l’étranger sont aussi particulièrement exposées à la pauvreté. Ainsi, le taux de pauvreté atteint 94 % lorsque la personne de référence du ménage est née à l’étranger. En effet, le plus souvent, les personnes venant de l’étranger résidant à Mayotte disposent de faibles revenus et ne perçoivent pas de prestations sociales.
Le statut de département n’a pas tout résolu. Le niveau de vie médian des habitants de Mayotte est six fois plus faible que celui de l’Hexagone et en baisse, lui, par rapport à 2011. Bien que très faible, les revenus avaient pourtant quasiment été multipliés par deux entre 1995 et 2005. Le revenu annuel moyen mahorais, calculé par ménage, était évalué en 2005 à 9.337 euros, alors qu’il s’élevait à 29.696 euros dans l’Hexagone. En 2011, la moitié de la population mahoraise déclarait disposer de moins de 384 euros par mois. Ce revenu médian diminue ensuite : en 2017, la moitié de la population de Mayotte vit avec moins de 260 euros par mois

En 2011, un grand mouvement social contre la vie chère secoue l’île : 44 jours de grève générale et un accord de fin de conflit en décembre qui promet la baisse des prix de 11 produits de première nécessité. En 2015, la vie coûte encore 7% plus cher à Mayotte que dans l’Hexagone. C’est le territoire d’Outre-mer qui compte l’écart le plus faible avec Paris, mais c’est aussi celui qui compte le plus de pauvreté. Début 2018, une nouvelle crise sociale ébranle l’île. Déclenché par la signature d’un accord entre la France et les Comores sur la circulation des personnes, le mouvement s’élargit à des revendications portant sur l’école, le logement et l’hôpital. 
A Mayotte, moins d’une personne en âge de travailler sur trois a un emploi, c’est deux fois moins qu’au niveau national (66%). Mais à niveau de diplôme équivalent, en dépit d’un marché du travail plus restreint, les habitants de Mayotte ont autant de chances d’avoir un emploi que les habitants de l’Hexagone. L’absence de formation est donc également un facteur qui pèse sur le marché du travail. 

► Le niveau de formation s’améliore
L’accès a l’emploi est rendu difficile par le faible niveau de qualification des Mahorais. En 2018, seules 27% des personnes de 15 ans ou plus sorties du système scolaire possèdent un diplôme, contre 72% dans l’Hexagone. Cependant la situation s’améliore dans le 101e département : en 2009, seuls 18% des 15 ans et plus étaient diplômés (graphique de gauche). D’une manière générale, la part des diplômés progresse depuis 2009, mais cette hausse est atténuée par l’arrivée plus importante ces dernières années de natifs de l’étranger, notamment des Comores.

Depuis le milieu des années 1970, de plus en plus d’habitants de Mayotte ont accès à l’école, explique l’INSEE. Ainsi, les jeunes Mahorais, sont bien plus diplômés que leurs aînés (graphique de droite)  : 72 % des natifs de Mayotte âgés de 25 à 34 ans sont diplômés contre 57 % entre 35 et 44 ans. Le constat est similaire pour les natifs de l’étranger, même si leur niveau de formation reste faible.

► L’île manque de classes et d’établissements
L’école pour tous est l’un des plus grands défis du rectorat de Mayotte. Si la scolarisation s’est nettement améliorée depuis les années 1970, des problèmes subsistent, même 10 ans après la départementalisation. Le nombre insuffisant de salles de classe a pour conséquence la persistence d’un système de rotation : une même salle est utilisée par deux classes, l’une l’occupant le matin et l’autre l’après-midi. Depuis 2007, les effectifs scolarisés augmentent chaque année de 2 000 à 4 000 élèves. De 2007 à 2017, les établissements scolaires de Mayotte ont vu leur population croître d’environ 40 %, explique un rapport de l’Assemblée nationale de décembre 2018, passant de 70 000 à 105 000 élèves : “On estime que le nombre de salles de classes manquantes dans l’enseignement primaire s’élevait à 346 en 2017.”

D’après l’INSEE, en 2017 “à Mayotte, environ 5 400 enfants mineurs vivent dans un logement, mais sans leurs parents (…) La moitié d’entre eux ne sont pas inscrits dans un établissement scolaire, alors que 61 % ont entre 6 et 16 ans. Près de la moitié (44 %) sont de nationalité française.”  Or, depuis la rentrée scolaire 2019, l’instruction est obligatoire dès l’âge de 3 ans, c’était le souhait d’Emmanuel Macron. A la rentrée 2019 à Mayotte, il y avait selon Gilles Halbout le vice-recteur de l’île cité par le Syndicat national des instituteurs (SNUipp), 4 524 élèves de trois ans inscrits. Or, depuis 2015, le nombre de naissances à la maternité de Mayotte s’établit chaque année autour de 10 000. Le compte n’y est donc pas. 

En 2018, 52 083 élèves étaient scolarisés dans le premier degré à Mayotte, selon le vice-rectorat. À Mamoudzou et Koungou, les deux communes les plus peuplées de l’île, il manque, explique le vice-recteur, 1 300 places en maternelle et primaire. Mais ces chiffres cachent une autre réalité : le système de rotations adopté par 40% des écoles de l’île. Pour y remédier, lors d’une visite sur l’île en octobre 2019, le président de la République promettait l’ouverture de 800 classes et la fin des rotations “en 2025 au plus tard”. Le manque d’infrastructures scolaires est pointé du doigt depuis de nombreuses années dans l’archipel, sans solution jusqu’ici : en 2004 déjà, le maire de Mamoudzou espérait la fin des rotations “sous trois ans”. Huit ans plus tard, François Hollande promettait la création de 100 classes par an pendant son quinquennat (2012 – 2017), soit 500 classes au total. Seules 120 ont été construites, a comptabilisé le SNUipp.

 
Pour l’ancien député René Dosière, la départementalisation n’était pas la solution à Mayotte : “Tous les éléments statistiques dont on dispose, que l’INSEE-Mayotte peut produire, montrent que les efforts financiers considérables qui ont été faits en faveur de Mayotte – des infrastructures, de l’éducation… – ça n’est pas une réussite.”  Le spécialiste des finances publiques insiste : “compte tenu de ses spécificités, compte tenu de sa proximité et des échanges de personnes qui se font de manière illégale avec l’île d’Anjouan – le cadre départemental n’est pas adapté au développement de Mayotte. Tous les indicateurs le montrent, que ce soit la démographie, que ce soit l’emploi.” René Dosière pense qu’un cadre proche de ceux de la Nouvelle-calédonie et de la Polynésie serait plus adapté à Mayotte.

Marie-Luce Penchard, ministre des Outre-mer en 2011 sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, a participé à la rédaction du pacte pour la départemantalisation. Dix ans plus tard, elle évoque un “gâchis” et met en cause les successeurs de l’ancien chef de l’Etat : “Il fallait le faire de manière progressive. Il fallait certes permettre aux Mahorais de bénéficier de cette égalité sociale, mais nous avions prévu de le faire sur 25 ans parce qu’il fallait en même temps lever l’impôt.” L’ancienne ministre évoque un rendez-vous raté : “Aujourd’hui, on ne maîtrise pas l’immigration à Mayotte, ce qui génère des conflits, des tensions, des incompréhensions et on voit bien que la situation est particulièrement explosive”.


Le département de Mayotte fête ses 10 ans : la réalité a-t-elle douché les espoirs ?
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