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A travers une série d’enquêtes inédites publiées par le département des études, de la prospective, des statistiques et de la documentation, le ministère de la Culture documente les comportements culturels dans trois territoires ultramarins.
Depuis une cinquantaine d’années, les enquêtes du ministère de la Culture sur les pratiques culturelles des Français font autorité pour documenter les comportements de nos concitoyens. En lançant aujourd’hui une série d’enquêtes inédites sur les pratiques culturelles dans les Outre-mer, le département des études, de la prospective, des statistiques et de la documentation du ministère de la Culture veut aller plus loin.
Avant Mayotte et la Réunion à la fin de l’année, ce dernier consacre trois études riches d’enseignements à la Martinique, à la Guadeloupe et à la Guyane. Il en ressort que les populations de ces territoires ultramarins ont une forte appétence pour la musique et les pratiques culturelles locales, et pour les langues en particulier, le créole en Martinique et en Guyane, et en premier lieu le créole haïtien et le portugais en Guyane. Amandine Louguet, chargée d’études au département des études, de la prospective, des statistiques et de la documentation du ministère de la Culture, co-auteure avec Antonin Creignou et Baptiste Raimbaud, chargés d’études à la direction Antilles-Guyane de l’INSEE, revient pour nous sur les principaux résultats.
Les enquêtes publiées aujourd’hui sur les pratiques culturelles dans les territoires ultra-marins constituent une grande première. En quoi cette démarche est-elle inédite ?
Absolument. L’enquête sur les pratiques culturelles est née dans les années 1970, mais elle n’avait jusque-là été réalisée qu’en France hexagonale. Pour sa sixième édition, en 2018, le ministère, en partenariat avec l’INSEE, a choisi de développer ce dispositif aux cinq territoires ultra-marins, la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane, Mayotte et la Réunion. Nous avons repris le questionnaire développé en France hexagonale mais avons ajouté des questions et des propositions de réponse afin qu’il soit représentatif de leurs pratiques au quotidien. Les pratiques locales, et en particulier la question des langues, lesquelles sont très présentes dans les territoires ultra-marins, ont notamment été étudiées de près.
Pour la Martinique, vous mettez en évidence le fait que les traditions, la musique et le créole transcendent les générations. Comment l’expliquez-vous ?
Ce constat est aussi valable pour la Guadeloupe. La place du créole est extrêmement importante, que ce soit dans la vie professionnelle ou dans la vie privée. Sept Martiniquais et Guadeloupéens sur dix utilisent le créole au quotidien. Même omniprésence de la musique et de la radio. On s’en rend compte dès qu’on arrive sur place : la radio fonctionne en permanence, c’est particulièrement vrai en Guadeloupe. D’une manière générale, il y a une culture de l’oralité qui est beaucoup plus forte dans les territoires ultra-marins qu’en métropole. Autre tendance forte : les Martiniquais, les Guadeloupéens et les Guyanais sont nombreux à participer au carnaval, événement durant lequel il est fréquent de jouer d’un instrument ou de danser, ce qui tendrait également à révéler l’importance de la pratique amateur qui est sous-estimée dans l’étude du fait de la formulation des questions.
Les traditions sont d’ailleurs prisées par toutes les générations…
En effet. La transmission entre les générations est extrêmement forte. Les jeunes sont proportionnellement les plus nombreux à participer au carnaval, et ils sont aussi très nombreux à parler le créole et à l’utiliser au quotidien.
Il y a une culture de l’oralité qui est beaucoup plus forte dans les territoires ultra-marins qu’en métropole
Un élément en revanche différencie les générations, c’est le rapport à l’information. Pourquoi ce décalage ?
Notre enquête relève une donnée constante dans ces trois territoires : les jeunes s’informent davantage sur les réseaux sociaux. Cela, dit, d’une manière générale, c’est l’ensemble de cette population qui s’informe plus sur les réseaux sociaux qu’en France hexagonale. Cela s’explique d’une part par l’offre disponible dans ces territoires. La presse « papier », beaucoup plus chère dans les Outre-mer qu’en métropole, est moins présente dans ces territoires. C’est un premier frein. D’autre part, les taux d’illettrisme sont beaucoup plus forts dans les territoires ultra-marins, notamment en ce qui concerne la langue française. Aussi, vous avez beau avoir un journal entre les mains, si vous ne maîtrisez pas suffisamment le français, vous allez potentiellement chercher de l’information sur internet et sur les réseaux sociaux dans des langues que vous maîtrisez.
Parallèlement à l’illettrisme, vous notez une difficulté d’accès aux livres. A quoi cela tient-il ?
Il y a la question du prix du livre et de l’accès aux équipements. Toutes les villes ou presque disposent d’une bibliothèque mais c’est l’offre disponible dans la majorité des établissements qui pose parfois problème. En Guyane par exemple, on a un taux d’illettrisme en français relativement important, mais les gens maîtrisent le portugais et d’autres langues. Or, s’ils se rendent dans les bibliothèques et qu’ils ne trouvent pas d’ouvrages dans les langues qu’ils maîtrisent, ils ne pourront pas lire. En Martinique et en Guadeloupe, la question de la langue se pose un peu moins, c’est plutôt celle du budget, insuffisant, alloué à l’acquisition de nouveaux livres qui domine.
Prochainement, on fêtera les quarante ans de la loi sur le prix unique du livre. Ce prix unique s’applique bien sûr dans les territoires ultra-marins, mais il faut y ajouter des frais importants de transport…
Tout à fait, un ouvrage qui coûtera quatorze euros en France hexagonale, coûtera deux euros de plus en Martinique ou en Guadeloupe. À côté de cela, le pouvoir d’achat est moindre par rapport à la France hexagonale. Ces différents critères se cumulent.
Concernant la presse, vous évoquiez l’offre disponible. Ce critère, appliqué aux sorties culturelles, est-il également déterminant ?
On constate deux choses : quand les pratiques sont domestiques, qu’elles dépendent de la télévision, d’internet, ou de plateformes proposant une offre de contenus audiovisuels diversifiée, comme Netflix ou Salto, elles sont quasiment identiques à celles observées en France hexagonale. En revanche, quand elles dépendent d’un équipement de type bibliothèque, cinéma, théâtre, l’écart se creuse avec la France hexagonale. Il y a sans doute un problème relatif aux équipements de proximité, mais la question de l’offre en tant que telle est tout aussi importante. En Martinique, vous avez 200 films qui sortent tous les ans contre 700 en France hexagonale. Or ces 200 films sont-ils ceux qui potentiellement ont le plus de chance d’intéresser les Martiniquais ? C’est une vraie question. Des films grand public qui sortent dans l’Hexagone sont susceptibles d’intéresser les Antilles bien sûr, mais les films qui concernent Haïti, Cuba ou d’autres îles, sont-ils programmés ? Et si oui, comment les amène-t-on auprès des populations, comment les propose-t-on aux habitants ?
L’offre culturelle disponible ne correspond pas forcément aux attentes des populations ultra-marines
La consommation de films apparaît comme l’une des principales pratiques de ces populations…
Elles regardent en effet beaucoup de films et sont extrêmement bien équipées en termes d’écrans : télévisions et accès internet. En Guyane, elles sont un peu moins bien équipées mais c’est aussi une conséquence du pouvoir d’achat qui est moindre. Il y a une réelle appétence pour les films. A travers des catalogues de type Netflix ou Salto, on peut aussi consommer des films et des séries qui sont dans une zone géographique potentiellement plus intéressante. En Guyane notamment, on a une population importante d’origine brésilienne qui consomme énormément de séries hispaniques et de télénovelas. Quand la personne peut acheter et choisir l’offre, on a des taux de pratique quasiment identiques à ceux de la France hexagonale.
En Guyane, la diversité linguistique joue un rôle déterminant dans les pratiques culturelles. Comment l’expliquez-vous ?
On observe une très forte utilisation du portugais dans les pratiques. On constate la même chose pour le néerlandais parlé au Suriname. De même, il y a une importante communauté haïtienne en Guyane, et le créole haïtien est très bien implanté, que ce soit dans les pratiques culturelles ou dans la vie quotidienne. Le territoire guyanais est un grand « melting pot » du point de vue des populations mais aussi de celui des pratiques culturelles.
Comment ces résultats sont-ils perçus sur place ?
Lors de la présentation des résultats de l’enquête à la préfecture de Martinique, nous avons perçu un intérêt particulier autour de la question des médias. La situation sanitaire affecte particulièrement les Antilles, pour autant, le taux de vaccination reste faible, et de fausses informations circulent énormément. À l’occasion de cette présentation, les décideurs et les représentants de l’État ont vu à quel point les réseaux sociaux étaient centraux dans la manière dont les gens, les jeunes en premier, mais plus largement l’ensemble de la population, s’informaient. D’où la question : comment doit-on informer ? Comment doit-on faire passer l’information ? Pourquoi, à côté du français, ne pas aussi communiquer en créole par exemple ?
Pratiques culturelles en Guadeloupe, Martinique et Guyane par Amandine Louguet, Antonin Creignou, Baptiste Raimbaud, Collection Culture études, trois fascicules de 12 p., département des études, de la prospective et des statistiques, ministère de la Culture, octobre 2021