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Par Victoire Laurent, Université de la Polynésie Française
Pour observer le changement climatique, l’Organisation mondiale de la Météorologie recommande d’évaluer le dérèglement climatique sur une période d’au moins 50 ans afin de s’affranchir des biais liés à d’autres variabilités temporelles du climat, tels que la dérive climatique, qui se calcule sur 30 ans, le phénomène ENSO (El Niño Southern Oscillation), qui modifie le climat sur une échelle de 2 à 7 ans, ou encore l’oscillation interdécennale du Pacifique (IPO), qui varie sur 40 ans et influence durablement les pluies en Polynésie française.
La communauté des climatologues s’est donc lancée dans un vaste programme de sauvegarde des données afin de constituer de longues séries de données de pluies et de températures. En Polynésie française, les premières mesures de pluies remontent à 1853 et la première station météorologique implantée sur les hauteurs du mont Faiere, à Sainte Amélie, a été inaugurée en 1935.
Après avoir inventorié et numérisé les données anciennes, il est nécessaire d’homogénéiser ces longues séries de données pour supprimer les erreurs ou ruptures dues à des évolutions de capteurs ou des conditions de la mesure. À partir de ces longues séries homogénéisées et fiables, on cherche à détecter le signal du changement climatique et à le quantifier.
La Polynésie française, qui comptabilise 120 îles réparties en 5 archipels, a un climat tropical humide mais avec des différences notables en raison de la grande étendue latitudinale de ce territoire (plus de 20° du nord au sud). On identifie d’un archipel à l’autre un climat bien spécifique : chaud et sec aux Marquises, mais frais et humide aux Australes, ou encore plus humide sur la Société que sur les Tuamotu.
En analysant les longues séries de données de températures, on peut affirmer que le climat polynésien s’est réchauffé au cours de ces dernières décennies. Selon les archipels, on calcule une élévation moyenne entre +0,6 °C et +1,55 °C cohérente avec le réchauffement global sur cette période.
Cette augmentation des températures est plus importante la nuit que la journée. Ainsi à la station météorologique de Faaa (Tahiti), l’élévation moyenne des températures minimales, observées habituellement en fin de nuit, est pratiquement deux fois plus importante que l’élévation moyenne des températures maximales, généralement observées en journée, avec respectivement +2 °C et +1,3 °C en 58 ans. Ce dérèglement climatique a également un impact sur les vagues de chaleur dont le nombre total de cas a significativement augmenté entre 1964 et 2021.
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, il y a peu d’impact du changement climatique sur le cumul annuel des pluies, en dehors de postes isolés comme Omoa, poste pluviométrique des Marquises, et Rapa, station météorologique des Australes. Cette absence de signal pluviométrique du changement climatique se confirme également sur d’autres îles du Pacifique Sud. Sur le territoire polynésien, les tendances linéaires de pluies calculées sur une période minimale de 50 ans varient en moyenne entre +5mm/an et -6mm/an, mais ces variations sont à expliquer par d’autres influences que celle du changement climatique, comme celle de l’IPO et de l’ENSO citées plus haut.
L’activité cyclonique est considérée en moyenne faible sur le bassin polynésien. En 50 ans, on a comptabilisé 23 cyclones tropicaux, 17 dépressions tropicales fortes et 10 dépressions modérées. Le dernier cyclone qui a touché la Polynésie française est Oli en février 2010, avec une pression minimale de 937hPa (l’hectopascal est l’unité de mesure pour la pression atmosphérique) et un vent maximum de 250km/h, loin des records détenus par le cyclone tropical Orama de février 1983, avec une pression minimale de 898hPa et un vent maximum de 280 km/h.
L’analyse depuis 1970 de l’activité cyclonique montre qu’elle est en diminution sur les deux dernières décennies et que cette baisse est plus marquée pour les cyclones tropicaux.
Les projections climatiques récemment réalisées et analysées maintiennent pour la fin du siècle cette diminution de l’activité cyclonique sur le sud du Pacifique et ne montrent pas de signal clair d’une évolution de la fréquence des cyclones de catégorie 5 (dans le Pacifique, la catégorie 5 correspond aux cyclones tropicaux intenses avec des vents moyens sur 10 minutes supérieurs ou égaux à 166km/h). Cependant, les simulations montrent une augmentation des pluies dans un rayon de 200 km autour du centre du cyclone.
Au niveau de l’océan, contrairement à l’atmosphère, les climatologues ne disposent pas de longues séries de données pour quantifier l’effet du changement climatique même si depuis les années 1990, l’information océanique est plus importante grâce aux données collectées par les satellites. Pour quantifier l’impact sur les températures de surface de la mer et la montée des eaux en Polynésie française, on peut se référer aux tendances climatiques.
Tout comme les températures de l’air, les eaux de surface de l’océan Pacifique se sont réchauffées de +0,9 °C depuis 1982, contribuant à l’élévation du niveau de la mer par dilatation.
Globalement, le niveau de la mer augmente plus rapidement au cours de ces dernières décennies mais à des vitesses différentes selon les archipels. Selon les données des images satellites LEGOS/CLS on retient que depuis 1992, le niveau de la mer a augmenté à une vitesse moyenne de +2,9mm/an à Tahiti et de +1mm/an à Mangareva, des tendances qui nous conduiraient en 2050 à des élévations bien plus importantes que celles proposées dans le 5e rapport du GIEC.
L’atlas climatologique de la Polynésie française sorti fin 2019 consacre tout un chapitre au changement climatique et, récemment, un rapport sur l’état des connaissances du climat des îles du Pacifique et son évolution a été mis en ligne.
Dans l’état actuel de nos connaissances, on peut raisonnablement avancer que le dérèglement climatique sur la Polynésie française à l’horizon 2050 va entraîner une hausse sensible des températures et une diminution des quantités de pluies sur certaines îles, augmentant la vulnérabilité à la disponibilité d’eau. Le risque de feux de végétation sur les îles hautes pourrait s’accroître avec des périodes de sécheresse plus fréquentes et plus longues.
Au niveau de l’océan, la principale vulnérabilité engendrée par l’évolution climatique est l’augmentation du risque de submersion marine. À l’instar de ce qui s’est passé sur l’atoll de Tikehau lors du passage de la forte houle de 1996, les structures en bord de mer seraient plus vulnérables aux risques de submersion.
Selon la morphologie des îles et la température de l’océan, les côtes exposées aux houles extrêmes seraient menacées par l’augmentation du niveau de la mer. Pour les atolls, ces submersions marines se traduiraient par la salinisation et donc la contamination des lentilles d’eau douce, fragilisant leur sécurité alimentaire et sanitaire.
À l’échelle des îles de la Polynésie française, nous n’avons pas toutes les réponses sur l’évolution du climat pour la fin de ce siècle. Les projections du GIEC étant réalisées à une résolution de 100 km, les îles ne sont pas représentées. C’est sur cette problématique que le projet CLIPSSA (CLImat du Pacifique Savoirs locaux et Stratégie d’Adaptation) a démarré en 2021, pour une durée de trois ans. Par des méthodes de descente d’échelle, les acteurs de ce projet vont produire des simulations climatiques à l’échelle de 2,5 km, afin de répondre aux problématiques à long et très long terme des acteurs locaux, et permettre ainsi la mise en place de stratégies d’adaptation en tenant compte des spécificités culturelles de ces îles.
Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 7 au 17 octobre 2022 en métropole et du 10 au 27 novembre 2022 en outre-mer et à l’international), dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition a pour thème : « Le changement climatique ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.
Victoire Laurent, Météorologue, Responsable de la division Études et climatologie, Météo-France/Direction Interrégionale pour la Polynésie française, Université de la Polynésie Française
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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