Avec GEO, partez, chaque mois, à la découverte du monde !
Explorez les plus beaux pays à travers des reportages photo époustouflants et des carnets de voyages étonnants. Un magazine qui vous permet de voir le monde autrement.
Grand Calendrier GEO 2022 – France Extraordinaire
La palette de couleur que dévoilent ces photographies immortalisées par Patrick Desgraupes sublime incontestablement la France.

Tests et jeux
Recommandé par GEO
C’est un «tube» de légende, une vague énorme, réputée la plus dangereuse au monde. Autrefois, les grands chefs tahitiens venaient l’affronter et rivaliser de courage. Embarquement pour le sud de Tahiti.
Partager sur :
Le bout du monde, littéralement. Au lieu-dit de Teahupoo, dans le sud de Tahiti, la route s’arrête net. Et pour marquer le coup, elle effectue même un demi-tour complet autour d’un rond-point agrémenté d’une «œuvre d’art». Une grosse vague verdâtre, moulée à grand renfort de ciment, qui s’enroule sur elle-même telle une mèche passée au fer à friser et qui menace de s’abattre sur ce qui ressemble de loin à une pierre tombale, de près à un longboard. Les enfants du coin s’amusent à escalader cette longue planche de surf, des chiens faméliques pissent régulièrement dessus et le soleil lui ôte chaque jour un peu de ses couleurs. Mais sur ce chef-d’œuvre kitsch, on lit encore les noms de soldats revenus du front : Kelly Slater, Bobby Martinez, les jumeaux Damien et Clifton-James Hobgood… Des dieux vivants du surf qui écrivent, année après année, la légende de Teahupoo.
Voici, dit-on, «la vague la plus dangereuse du monde». L’avertissement est même inscrit en grosses lettres rouges sur un panneau rouillé planté en bordure de plage. Autrefois, les chefs tahitiens et leurs fils y faisaient la démonstration de leur supériorité et prouver que les dieux étaient avec eux. «Avec le lancer de javelot et le tir à la fronde, le surf était l’exercice suprême de bravoure», explique l’anthropologue Tamatoa Bambridge, qui a beaucoup étudié les traditions de Teahupoo. Aujourd’hui, rien n’a changé. Chaque mois d’août, des demi-dieux d’un nouveau genre se défient à travers l’une des étapes les plus huppées du circuit mondial : le Billabong Pro Tahiti. Après avoir survolé les éditions de 2000, 2003, 2005 et 2011, le Floridien Kelly Slater, alias King Kelly, onze titres de champion du monde au compteur, a remporté une nouvelle fois la bataille, l’été dernier. En d’autres temps, il aurait été sacré grand chef de l’île !
Au premier abord, le mythe ne saute pas aux yeux : à Teahupoo, la vague se cache. Elle rumine dans son coin, à un bon millier de mètres du rivage, juste derrière la barrière de corail. Papeete n’est qu’à 60 kilomètres. Mais ici, loin de l’esbroufe de la capitale tahitienne, on est «sur la presqu’île», comme disent les gens du cru pour bien signifier qu’ils n’appartiennent déjà plus au même monde. Vu du ciel, il s’agit en effet d’un appendice de terre qui dessine la nageoire caudale du gros poisson rondouillard formé par l’île de Tahiti. Un havre composé de montagnes échevelées et de lagons nacrés. La vie s’y écoule au compte-gouttes, sans se presser.
Une ravine déverse l’eau claire descendue des sommets. Les merles des Moluques picorent les pelures de noix de coco. De gros crabes cavalent d’un trou à l’autre. Un pont piétonnier mène à un hameau sans voiture, dont les maisons sont plantées à même la grève et les sentiers tracés dans le sable. Bref, avec la pêche et la pratique du ukulélé, la sieste semble ici la seule activité qui vaille… Sauf quand «la» vague se réveille. La saison qui s’étend de mars à octobre est la plus propice aux compétitions, mais Teahupoo peut se déchaîner n’importe quand. «Toute l’année, jour et nuit, on l’entend au loin, et puis, à un moment, le son change…» raconte Eric Plantier, 57 ans, l’instituteur du village. Le vent souffle depuis la terre pour venir chatouiller le monstre d’eau. Ce n’est plus alors une rumination, mais une canonnade. «Une déflagration d’écumes !» jure Eric. Tout s’anime enfin. Et le bout du monde devient le centre du monde. Les soldats du surf débarquent, tournent comme des fous autour du fameux rond-point, garent leurs 4×4 n’importe comment et sortent les planches. Certains arrivent de loin, par le premier avion d’Australie, de Nouvelle-Zélande ou d’Hawaii, alertés par les amis tahitiens qu’une «série» débute. Les pêcheurs, eux, remisent les filets et font la navette pour les surfeurs jusqu’à la passe de Hava’e. C’est à gauche de celle-ci, pendant des heures, parfois des jours, que se livre le combat. «La baston», disent les aficionados.
Longtemps, ce «tube» (terme qui désigne une vague tubulaire) resta confidentiel. Seuls quelques Tahitiens venaient avec des planches de fortune (ou des bodyboards, l’une des passions locales) sur les traces des ancêtres. Ceux qui n’avaient pas le niveau finissaient aux urgences de Papeete ou dans un cercueil. Les autres devenaient des héros. Raimana Van Bastolaer est de ceux-là. Figure incontournable de Teahupoo, ami des cracks du circuit professionnel, acteur dans des films de surf – dont le dernier Point Break –, ce quadra à la carrure de rugbyman a contribué à faire connaître la vague. Et à diffuser sa terrifiante réputation…
En 1997, quand débutèrent les premières compétitions internationales à Teahupoo, le monde découvrit ce monstre hors norme avec effroi : l’épreuve fut en effet marquée par la collision, sur la barrière de corail, du catamaran des officiels où se tenaient les juges et les organisateurs… En cause, une houle surpuissante et un point break (une «zone d’im- pact») débouchant sur un champ de coraux tranchants comme du verre pilé. Sans parler du tourbillon : parfaitement circulaire, son diamètre oscille entre cinq et sept mètres. A l’intérieur, on pourrait garer deux semi-remorques ! Le surfeur, lui, n’y passe que quelques secondes. Son exploit consiste à glisser au cœur de la centrifugeuse, puis à s’en échapper avant que les mâchoires ne se referment sur son flanc droit et ne le broient. En 2000, on décida de mettre en place des patrouilles en Jet-Ski chargées de «cueillir» les champions au sortir du rouleau compresseur lors des compétitions, avant qu’ils ne s’empalent sur le récif. Le Tahitien Brice Taerea, pourtant expérimenté, venait de perdre la vie en s’y heurtant la tête.
Ainsi se forgea la réputation crépusculaire de la vague polynésienne. Ceux qui s’y attaquent sont soit des fous, soit des experts, aux nerfs solides et aux muscles affûtés. «C’est du très gros», résume Russell Bierke, de passage sur le spot. Cet Australien de 18 ans, considéré comme l’un des surfeurs les plus doués de sa génération, en a vu d’autres. «Ici, le danger est réel, avoue-t-il. Le tube semble parfait, mais la moindre erreur est fatale.» En vieux tahitien, tea-hu-poo signifie «montagne de crânes». Tout est dit.
Cet article est tiré du magazine GEO n°455 (janvier 2017).
Les derniers articles
Le guide pratique
Chaque jour, les dernières actualités GEO
PHOTO DU JOUR
Où a été prise cette photo ?
The Last Minute
CPPAP : 0322 W 90268 – © PRISMA MEDIA – GROUPE VIVENDI 2022 TOUS DROITS RÉSERVÉS

source