Édition du 12 janvier 2023
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Les essais nucléaires qui ont eu lieu en Polynésie ont abîmé la nature et meurtri des corps. Conséquence : de nombreux malades sont atteints d’un cancer directement lié aux tirs réalisés entre 1966 et 1996. Certaines victimes se lancent dans le long parcours de l’indemnisation. Une démarche administrative compliquée et, psychiquement, douloureuse.
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Papeete.
De notre envoyée spéciale
Annick avait à peine sept ans, l’innocence d’une gamine
, résume-t-elle, quand les essais nucléaires ont commencé en Polynésie. De champignons atomiques dans le ciel azur ou de détonations d’explosion dans le lagon paradisiaque, elle a beau fouiller dans la mémoire de son enfance, aucun souvenir n’émerge.
Alors, quand un premier cancer du sein lui est diagnostiqué en 1997, à 38 ans, elle est loin d’imaginer que ça pouvait être lié ».
Annick vit à l’époque à Tahiti, employée consciencieuse à la Poste, heureuse épouse et mère de trois enfants. Je ne pensais qu’à une chose, guérir pour mes petits. Je n’avais pas de temps à perdre pour réfléchir au pourquoi de cette saleté grosse comme le poing.
Elle se soigne jusqu’à Paris, à l’Institut Gustave Roussy. Ce type de cancer agressif n’était pas encore traité ici.
Des mois de chimio dans l’Hexagone et, pour les dernières semaines de soins, enfin le retour sur son archipel. Les ultimes doses à injecter sont revenues avec moi dans la soute de l’avion.
Les années passent, la rémission est gagnée en 2002, l’angoisse de la maladie mise en sommeil. Jusqu’au réveil du doute sur l’origine du méchant crabe. C’était en 2017, une amie, membre de l’association 193, m’a expliqué son travail auprès des victimes des essais nucléaires.
L’idée d’être l’une des leurs la laisse perplexe
, se demandant bien comment une existence passée à 1 200 kilomètres des sites de tirs de Mururoa et Fangataufa pourrait en subir les conséquences. Sauf que des études et enquêtes (1) l’ont démontré : certains nuages, poussés par les vents, ont déplacé des retombées radioactives vers Tahiti. Annick finit par accepter l’impensable : C’est dur de demander réparation à un État en qui on avait confiance et qui, au final, a tué, pour assurer sa puissance militaire…
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Avec l’aide des bénévoles de 193, elle présente son dossier auprès du Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen), instance installée à Paris et chargée d’étudier les demandes, après la Loi Morin de 2010. Une bataille en soi ! Pour réunir les conditions de date, de lieu, de nature de la maladie, il faut compiler plein de papiers et d’expertises. Comme j’avais été soignée à Paris, j’ai entamé un travail de fourmi pour tout récupérer. Et puis, c’est bizarre de faire cette démarche car on associe sa santé à une notion d’argent. On a l’impression de se transformer en cases à cocher…
Prise en charge à 100 % par la CPS, la caisse polynésienne de prévoyance sociale, elle redoute l’image de mendicité
mal placée. Parce qu’un chèque ne réparera jamais les années de douleur, mon physique et ma vie de femme abîmés, l’angoisse répétée de la mort ».
Annick et l’association mettront un an à monter son dossier. Mais quand l’indemnisation financière lui est notifiée en 2019, son soulagement n’est qu’éphémère. Quelques mois plus tard, un second cancer se déclare, sur l’autre sein. Vingt-deux ans après le droit, me voilà repartie pour un nouveau combat sur le gauche…
, glisse-t-elle, sous le regard bienveillant de Léna Normand, vice-présidente de 193.
Dans le petit bureau de l’association, niché au cœur de la paroisse Christ-Roi de Pamatai, à côté de Papeete, la militante s’investit sans relâche auprès des victimes civiles. Et quel que soit leur bord politique ou confessionnel, aime-t-elle à répéter, consciente de l’étiquetage religieux adossé à sa structure, fondée en 2014 par le médiatique Père Auguste Uebe-Carlson. Oui, notre association est inscrite dans le respect de nos valeurs chrétiennes mais la maladie ne choisit pas en fonction d’un parti, d’une église… Ce qui compte, c’est la force de notre engagement auprès des familles. Nous en avons aidé 300 sur ce long chemin de la constitution de dossiers. À chaque fois, c’est très douloureux.
Faire établir les justes préjudices sanitaire, moral, financier, être mis en doute sur son statut de victime… Personne n’est préparé à une telle violence et effraction dans l’intimité. Être malade et devoir se mettre à nu devant l’administration pour être expertisé, c’est la double peine.
Ce parcours, Hiapo s’apprête à l’arpenter. Au nom de ses parents, décédés chacun d’un cancer dans les années 2000. Ce matin d’avril, dans leur modeste case de Tautira, commune de la presqu’île de Tahiti, elle et son mari réunissent les premiers documents en vue du montage d’un dossier d’indemnisation rendu désormais possible pour les ayants droit. Eux ne passeront pas par une association mais par les services de l’État.
Après la prière d’accueil dite par Hiapo, des représentants du Haut-commissariat, l’équivalent de la préfecture, leur expliquent les différentes étapes de la démarche.
La conversation s’engage en reo tahiti, la langue polynésienne. Chef de la subdivision administrative des îles Tuamotu-Gambier, Frédéric Sautron est chargé, depuis janvier, de cette nouvelle structure mobile dédiée au ‘aller vers’, c’est-à-dire aller à la rencontre des populations les plus éloignées dans des zones touchées par les conséquences des essais.
Une initiative complémentaire
au travail associative et née de la volonté du gouvernement de permettre à toute personne se considérant comme potentielle victime de le dire et de présenter un dossier au Civen.
En juillet, lorsque le président Emmanuel Macron s’était rendu en Polynésie, ce meilleur suivi des parcours d’indemnisation avait été au cœur des engagements annoncés.
Pour le moment, l’équipe, composée de quatre agents, a monté soixante-trois dossiers au cours de ses déplacements sur différents archipels, appuyés par les maires et référents de santé dans les îles. D’ailleurs, avant de rendre visite à Hiapo, une réunion à la mairie de Tautira s’était tenue en présence d’élus et du tavana, le maire de la commune.
Frédéric Sautron ne cache pas la complexité du lourd dossier du nucléaire, du lien de confiance à retisser
, de la pédagogie à déployer. Une élue l’interpelle : Quelle maladie est causée par les essais, qui est touché ?
Et le fonctionnaire d’énumérer quelques-unes des vingt-trois maladies radio induites aujourd’hui listées pour conditionner l’ouverture d’un dossier : leucémie, cancer du sein, du poumon, de la thyroïde, du colon, du cerveau… Avant de nuancer : On peut avoir été exposé aux radiations des essais et ne jamais être malade. Et, inversement, ne pas y avoir été exposé et souffrir d’une de ces maladies.
C’est tout le travail des agents, collecter les preuves, contextualiser les présences sur site, croiser les dates. Hiapo commence à réunir les carnets de santé de ses parents, les pièces d’identité… Il faudra des semaines pour boucler le dossier avant qu’il ne soit présenté au Civen.
À ses côtés, Paerai, son mari, prend la parole : Tout ça remue, soupire-t-il. Vous savez que je suis allé travailler à Mururoa quand j’avais 22 ans ? C’était la belle vie à l’époque ! Heureusement, je ne suis pas tombé malade…
Dans les familles polynésiennes, le nucléaire a comme « métastasé » les mémoires. Le sujet divise entre ceux qui y ont gagné de l’argent et ne sont pas peu fiers d’avoir participé à la construction de la force de dissuasion nucléaire française, ceux qui s’y sont opposés farouchement ou encore ceux qui n’ont rien vu mais écopent des années après.
Alors, le simple fait d’ouvrir un dossier peut fissurer des foyers et fâcher des proches. Parce que derrière la bombe, c’est aussi le rapport d’un territoire d’Outre-mer à la France qui est interrogé, les douloureuses questions de la colonisation, de la spoliation des richesses, du positionnement politique entre le clan des autonomistes et celui des indépendantistes.
Quelques jours après Tautira, l’équipe de Frédéric Sautron est repartie en mission à l’est de l’archipel des Tuamotu, sur les minuscules atolls de Pukarua, Reao, Vahitahi, Vukutavake, Vairaatea. Des îles particulièrement exposées aux essais car pas loin des sites de tirs de Mururoa et Fangataufa entre 1966 et 1974. Le genre d’endroit où il n’y a qu’un avion par mois, où une mauvaise connexion Internet peut geler un dossier pendant des semaines car les personnes ne peuvent pas récupérer des documents numérisés…
Si les portes se sont ouvertes facilement, des familles se sont murées dans le silence : Pour elles, c’est trop de souffrance d’évoquer tout ça, commente Samuel Hamblin, l’un des agents. Nous expliquons que le processus peut être long et ne pouvons pas garantir une issue favorable à chaque dossier. Raviver les plaies, même pour de l’argent, ça leur est impossible. Ils veulent tourner la page.
Et puis, en Polynésie, bien plus que des euros, beaucoup attendent une autre forme de réparation. Celle d’un pardon. Ce simple mot au sens si profond, aucun Président ne l’a formulé auprès du peuple
, regrette Annick au moment de boucler son deuxième dossier d’indemnisation. Elle tient la haine à distance, trop épuisante
. Mais quand Emmanuel Macron a parlé de part d’ombre et de dette »,
en juillet, elle avoue avoir été triste
. Une dette, ça sous-entend une question d’argent, matérielle. Le pardon, ça a une valeur morale bien plus forte et symbolique… Ce serait la moindre des choses de demander pardon à ceux qui souffrent des conséquences des essais et aux générations futures qui n’ont pas fini d’en constater les dégâts.
1966-1996 : période des 193 essais réalisés en Polynésie depuis les atolls alors inhabités de Mururoa et Fangataufa. Quarante et un essais seront aériens, 137 souterrains. 150 000 personnels, civils et militaires, ont travaillé sur les différents sites. Une large part de la population locale a aussi été touchée par les retombées des nuages radioactifs.
2010 : vote de la loi Morin afin d’indemniser les personnes atteintes de maladies résultant d’une exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français réalisés dans le Sahara algérien et en Polynésie entre 1960 et 1998.
1747 : le nombre de dossiers déposés entre 2010 et 2020 au Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen). Soit par des personnes malades, soit par leurs ayants droit en cas de décès. 50 % des demandes sont suivies d’indemnisation. Dont la moyenne s’élève à 73 445 € par demandeur.
(1) Toxique, S. Philippe et T. Statius, Puf, 192 pages, 15 €, paru en 2021.
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