L’atoll polynésien de Marlon Brando vient d’être transformé en palace écologique. The Brando a ouvert le 1er juillet, dix ans jour pour jour après la disparition de l’acteur.
A deux heures de bateau de Tahiti, le nouveau paradis tropical avec ses 35 villas coiffées de pandanus (chaume).
R. Frankenberg/L'Express Styles
“Si j’amenais mon père ici, les yeux bandés, il penserait avoir débarqué à Fidji ou à Hawaii tellement c’est classe”, sourit Miko Brando, l’aîné des enfants vivants de l’acteur. Ce barbu débonnaire, fraîchement arrivé de Los Angeles où il gère depuis trente ans Neverland, le domaine de Michael Jackson, descend sa deuxième bière face au lagon de Tetiaroa. “Bien sûr, mon père aimait plutôt les endroits roots, et c’est un hôtel luxueux. Luxueux, mais écolo. Dans les années 1970, il avait fait venir ici une scientifique de Santa Monica. Il voulait faire du développement durable avant même que ce mot existe.” Autour du Bob’s Bar, réplique de la paillote où Marlon Brando refaisait le monde en sirotant des Campari soda, les stars de Beverly Hills – Angelina Jolie et Brad Pitt compteraient parmi les premiers hôtes – devraient arriver dès les prochains jours. Bienvenue dans le dernier-né des mythes hôteliers, nouveau rival de North Island aux Seychelles ou Moustique dans les Caraïbes.
L’histoire commence en 1962: Marlon Brando, au faîte de sa gloire, part six mois dans le Pacifique tourner Les Révoltés du Bounty, tombe amoureux de Tarita, sa partenaire à l’écran, et d’un atoll quasi vierge au large de Tahiti : Tetiaroa. Quatre ans et 200 000 dollars plus tard, les 12 motus (îlots) du lagon cerclé de corail lui appartiennent. Dans son éden, Marlon revient aux sources, campe en paréo au milieu des crabes de cocotier, plante quelques paillotes pour accueillir les copains de Hollywood – Quincy Jones et Robert De Niro en tête – et crée Tetiaroa Village, minuscule hôtel que Tarita dirigera durant une dizaine d’années. Un ouvrier qui fait le vol avec nous depuis Tahiti confirme ce qu’on savait déjà: cet hôtel a fermé depuis dix ans et il se trouvait là, entre le tarmac et ce côté du lagon où s’alignent des toits de tôle multicolores. The Brando se déploie de l’autre côté, derrière une allée de sable fin bordée de tiarés en fleur où danseurs et joueuses de ukulele accueillent les visiteurs avant de reprendre leur poste de bagagiste ou de femme de chambre.
Côté déco, matériaux polynésiens et épure moderne réalisent un métissage élégant et subtil. Chacune des 35 villas avvec piscine – 25 devraient les rejoindre- offre un accès privatif à la plage de sable blanc ourlée de cocotiers et déserte. De la chambre, une longue fenêtre horizontale ouvre en CinémaScope sur la féerie du lagon. Literie parfaite, salle de bains donnant sur les palmiers, le nec plus ultra du confort comprend même une “media room” avec bureau high-tech et Wi-Fi ultraperformant. Sur la terrasse, une petite table paresse sous sa paillote de pandanus: dans quelques minutes y apparaîtront le petit déjeuner et son cortège de délices – patanegra, ananas de Moorea, viennoiseries dignes de Ladurée et même du miel de Tetiaroa – livrés en catimini par l’accès côté jardin.
Il ne reste plus qu’à plonger illico dans cette carte postale couleur bleu des mers du Sud pour guetter raies pastenagues et requins de lagon, s’exercer au paddle et au va’a, la pirogue polynésienne, découvrir le body art, un mélange de Pilates et de yoga dispensé par Frédéric, le coach sportif, en admirant au passage les muscles des magnifiques garçons de plage, qui pourraient jouer dans un remake des Révoltés du Bounty. Pour rejoindre le spa, somptueuse création architecturale posée au bord d’un bassin de nénuphars ombragé de cocotiers, les milliardaires écolos enfourchent leur vélo, seul véhicule visible avec les voiturettes électriques.
Au restaurant, dont les cuisiniers ont été formés par Guy Martin, le chef deux fois étoilé du Grand Véfour, nous rencontrons Richard Bailey. Devant une assiette de thon cru mariné à la tahitienne, le créateur du Brando, qui dirige aussi la première chaîne d’hôtels en Polynésie, le groupe Pacific Beachcomber, explique l’histoire du projet. “En 1999, Marlon Brando m’a demandé de réaliser un audit de Tetiaroa. On a discuté pendant quatre ans et, à sa mort, en 2004, nous n’avions signé qu’un accord de principe. C’est lui qui a eu l’idée de produire de l’air condition né en utilisant de l’eau de mer; à l’époque, cela paraissait complètement farfelu, et je suis fier de l’avoir réalisé. Le système est totalement écolo, trois fois moins cher que l’achat d’électricité et très simple: des tuyaux puisent à plus de 900 mètres de profondeur de l’eau à 4,5 degrés qui refroidit ensuite le circuit d’eau douce qui refroidit l’air.”
Ici, toute l’énergie vient des panneaux solaires et de l’huile de coprah, un biocarburant extrait des noix de coco qui poussent sur l’atoll. Les piscines sont alimentées en eau de pluie et eau de mer dessalinisée. Tous les déchets organiques sont recyclés en compost grâce à une machine française révolutionnaire; les bouteilles de verre, pilées et saupoudrées sur les allées; les eaux usées, traitées de façon 100 % naturelle dans un bassin de sédimentation puis réutilisées dans les douches, les jardins et les sanitaires. Même les moustiques ont eu leur compte, sans pulvérisation d’insecticides, terrassés par des congénères génétiquement modifiés qui ont stérilisé les femelles en les fécondant: une prouesse high-tech qui propulse The Brando au XXIIe siècle avant l’heure.
Le délicieux blanc de corail, le vin de Tahiti, monte un peu à la tête, alors que plane l’ombre du Parrain, réincarné en caution écolo et argument marketing. Brando, l’acteur, aurait-il voulu The Brando? Réponse de Richard Bailey: “On m’a reproché d’utiliser son nom. Mais, hormis cela, je ne fais pas de ‘brandoïsme’, n’ai pas créé de musée, ni installé de grand écran qui diffuse ses films en boucle. Et le projet écologique est conforme à ses souhaits. Mais la question secoue évidemment les cocotiers. Contactée par téléphone, Tarita, la veuve de Brando, qui vit toujours à Papeete, s’enflamme: “Quand ils ont commencé à construire l’hôtel, je suis revenue à Tetiaroa pour ramasser mes affaires et j’ai vu qu’ils avaient abattu les aitos, ces sapins tahitiens que Marlon adorait. Jamais il n’aurait accepté cela. Il n’aurait pas non plus été d’accord avec la construction d’un hôtel de luxe. Il voulait que ça reste naturel. Mais je ne veux plus entendre parler de Tetiaroa. Quand mes enfants viennent à la maison, je leur interdis d’aborder le sujet.”
La controverse a bercé le projet depuis ses débuts – il suffit de quelques clics sur Google pour glaner un aperçu de la polémique qui entoure l’acquisition du droit d’exploiter l’atoll, cédé à Richard Bailey au quart présumé de sa valeur. Ou des foudres des défenseurs de l’environnement, qui accusent les promoteurs du Brando d’avoir abîmé la barrière de corail pour y aménager une barge entre l’océan et le lagon, nécessaire au transport des matériaux de construction et à l’approvisionnement de l’île. L’un d’eux vit en face de l’hôtel, sur un faré flottant d’où il observe la pelleteuse qui drague le sable au fond du lagon, alimentant une page Facebook intitulée “The Brando-Apocalypse Now”.
Pédalant sur les belles allées de ciment (matériau renouvelable, antimoustiques), dans cette perfection tropicale digne du Truman Show, vient la tentation de sortir du cadre. Après le village des employés – 200 logements individuels, climatisation pour tous – arrive le tarmac. Fin du bitume, la piste de sable zigzague entre des bungalows défraîchis – Tarita habitait le premier, aujourd’hui repeint en rose, indique un grand popa’a blond, un de ces Blancs nés sous les tropiques et qui roulent les “r”. Fred Fabiche, à Tetiaroa depuis six ans, est le paysagiste du projet. “Les aitos ? Ce sont des plantes invasives, il fallait les enlever. Ils ont été recyclés en de magnifiques piliers, à l’entrée de l’hôtel. On peut dire ce qu’on veut, mais Bailey a fait du beau travail. L’île n’était pas écolo avant son arrivée, loin de là, et on a passé les premiers mois à évacuer pas mal de déchets accumulés, enterrés – des boîtes de conserve aux bidons de fuel. Vous savez, c’est facile de critiquer les gens intelligents qui osent et portent de grands projets.” Dans un grand hangar, les ouvriers du chantier posent leur gamelle sur la toile cirée, devant la baie qu’admirait Brando. Tout a l’air soudain plus vrai. A quelques mètres gisent les vestiges de l’ancien “village”, avec ses curieux chalets à terrasse. Le dernier à droite est celui de Teihotu, le fils de Marlon et de Tarita, qui vit sur l’île depuis une douzaine d’années. Pour lui comme pour ses demi-frères et soeurs, l’aventure du Brando se traduit par de substantiels dividendes. Entre la fidélité à l’idéal paternel de l’île déserte et les sirènes des francs Pacifique, les héritiers du monstre sacré n’ont apparemment pas trop hésité. Le soleil se couche en douceur sur le lagon, qu’agitent les ailerons d’une dizaine de requins citrons. Ici, sans doute plus qu’ailleurs, la vérité se révèle dans un certain clair-obscur.* Remerciements à Bernard Judge, architecte du Tetiaroa Village et auteur de Waltzing With Brando. Planning a Paradise in Tahiti (éd. ORO).
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