Bouturage du corail à l’hôtel Intercontinental de Bora Bora. La culture sera réimplantée sur les récifs.
La Polynésie française est imaginée comme un paradis perdu de carte postale, or elle a beaucoup plus à offrir. Démonstration dans le deuxième volet de notre reportage.
Les coqs hurlent depuis l’aube. Ils nuisent systématiquement au repos des touristes jet-lagués peu habitués à un tel réveil (-12 heures de décalage horaire par rapport à la Suisse). Ces volatiles, malingres et pointus, ne sont pas domestiqués «parce qu’ils ne sont pas assez gros pour être mangés» et ne sont victimes d’aucun prédateur. Ils pullulent en Polynésie française. Il y en a, bien sûr, à Paea, commune résidentielle de l’île de Tahiti, située à 20 minutes, en voiture, de la capitale, Papeete. Comme tous les Polynésiens, Louise Frogier n’entend plus les cris matinaux de ces oiseaux. D’ailleurs, elle est bien trop affairée à sa besogne. La quadragénaire vole à travers le rucher qu’elle a aménagé, depuis cinq ans, dans la propriété de ses parents.
Louise Frogier, apicultrice, installe ses ruches en divers sites secrets de Tahiti.
«Avant, je travaillais dans un bureau. J’ai compris que ça n’était pas fait pour moi, alors j’ai entamé une reconversion dans la couture. Dans la pièce voisine de celle où étaient dispensés mes cours, il y avait une initiation à l’apiculture. J’y suis allée et je suis tombée amoureuse des abeilles.» La mode a peut-être perdu une main agile, mais les gourmets ne s’en plaindront pas parce que la Tahitienne produit un nectar. En mai dernier, son miel a été désigné comme le meilleur de Polynésie face à celui de sept autres concurrents venus de tous les archipels. C’est la seconde fois que cet honneur lui échoit. Elle ne cache pas sa satisfaction: «Après tout, je suis encore novice».
Une ruche décorée à la main pour les butineuses qui produisent le meilleur miel de Polynésie.
La Polynésie française est un des derniers recoins du monde exempt du varroa destructor, acarien parasite de l’abeille. L’accès au territoire est scrupuleusement soumis à la biosécurité. Malheur à qui tenterait d’importer un végétal, un animal ou un aliment et même du miel (depuis 2011): c’est formellement interdit. La marchandise est détruite et le fraudeur s’expose à une amende. Par ailleurs, l’accroissement de la mortalité des abeilles, phénomène inquiétant sous nos latitudes, a semble-t-il épargné ces terres tropicales. Une chance pour une filière 100% artisanale qui se professionnalise. Les apiculteurs se sont réunis en association, Apis porinetia. Celle-ci organise pour la quatrième fois le concours annuel remporté par Louise Frogier. Une autre femme s’est démarquée, en 2021, Linnea Rocher, résidant à Hiva Oa dans l’archipel des Marquises (lire le 1er épisode de ce reportage) qui arrive à la troisième place. Les membres d’Apis porinetia ne cachent d’ailleurs pas leur ambition: l’exportation de leurs produits en Europe et en Amérique. Les démarches pour obtenir les autorisations sont complexes et prennent du temps.
Nage avec les raies à Moorea,
dite l’île sœur de Tahiti.
Son temps justement, Louise Frogier le consacre presque entièrement à son exploitation, nommée Meri Rangi. Elle doit aussi veiller aux plantes que butinent ses ouvrières. Pour obtenir des arômes floraux, fruités avec des notes de caramel, elles disposent avocatiers, papayers, piments, moringa et kava à proximité des ruches. Le falcata, arbre non endémique cousin de l’acacia, abonde en Polynésie. La saveur qu’il donne au miel tend parfois à masquer des notes plus subtiles. Le travail consiste donc à imaginer puis à créer des accords à la manière d’un parfumeur. L’apicultrice place aussi ses abeilles dans la brousse, expression locale signifiant en pleine nature. Leur emplacement est un secret. Il est important de les disséminer un peu partout à Tahiti parce que la météo fluctuante peut décimer les essaims et anéantir les récoltes. La Tahitienne reste philosophe quant aux incertitudes de l’avenir climatique: «nous ne pouvons que nous adapter aux conditions fixées par la nature», glisse-t-elle en ouvrant un parapluie pour s’abriter des gouttes qui commencent à tomber. En bonne gestionnaire, elle a dû se diversifier pour rentabiliser sa production. En plus de ses miels, dont les plus récents sont infusés à la vanille, au gingembre et au curcuma, Louise confectionne savons et soins cosmétiques qui lui assurent une marge bénéficiaire et donc son salaire.
L’averse a été brève, le beau temps est revenu. En quittant Paea par la route bordant le littoral jusqu’à la presqu’île, on aperçoit des surfeurs ravis de retourner à leurs vagues. Il faut s’en convaincre: demain, le soleil brillera.
Teahupoo, spot de surf
mondialement connu.
L’apiculture n’est évidemment pas le seul secteur concerné par les changements climatiques. La Polynésie française dans son ensemble les subit de plein fouet. Le phénomène se traduit notamment par la montée des eaux. Les scientifiques estiment que leur niveau gagnera 1,50 mètre d’ici à la fin du XXIe siècle signifiant l’engloutissement des atolls des Tuamotu où vivent quelque 15’000 personnes. Les effets actuels sont déjà inquiétants: cyclones plus violents, forte houle, sécheresse, inondations et incendies. Il n’est plus possible de tergiverser. Le projet de société actuel est la refondation et la transformation des modèles économique et social pour un développement durable et inclusif. Au cœur de ses objectifs: la transition vers des énergies renouvelables, la protection de la biodiversité, l’autonomie et la sécurité alimentaire de la population grâce aux circuits courts et aux ressources locales.
Survol des îles Sous-le-Vent
en direction de Bora Bora
(vue depuis un avion de ligne).
Ce défi titanesque concerne aussi le tourisme, secteur économique primordial (avec la culture de la perle). 2019 avait été une année record avec 237’000 touristes (280’000 habitants). La croissance a été cassée par la crise sanitaire qui a mis à plat un large pan de la société polynésienne. L’activité reprend son cours et la question environnementale demeure. Elle taraude Bora Bora, l’île qui, à elle seule, incarne le rêve d’un paradis exotique pour les voyageurs. Pour comprendre son importance, il faut savoir que l’intense trafic aérien entre Papeete et l’île assure la pérennité d’autres lignes d’Air Tahiti moins fréquentées. À leur niveau, les hôtels du Saint-Tropez de la Polynésie ont pris des mesures pour limiter leur impact sur l’environnement. C’est le cas de l’iconique Intercontinental Thalasso & Spa dont les bungalows offrent la plus belle vue sur le mont Otemanu. La climatisation de l’établissement est désormais assurée par un système qui puise la fraîcheur dans les profondeurs du lagon. L’installation, imperceptible, permet d’économiser 90% de l’énergie nécessaire à cet usage.
Laura, 26 ans, horticultrice
à l’Intercontinental de Bora Bora,
île où elle est née.
Le cinq-étoiles s’engage, en plus, pour la défense du corail en assurant en son sein un bouturage qui enrichira les fonds marins. La dernière initiative en faveur de la durabilité est la création d’un potager, au début de l’année. Les légumes et les herbes aromatiques qui y pousseront alimenteront les restaurants de l’hôtel. Le projet est doublé d’une opportunité professionnelle pour les jeunes du coin. Parmi eux, il y a Laura, une horticultrice âgée de 26 ans native de Bora Bora. Elle a rejoint le personnel, il y a 3 mois. Au moment où nous l’avons rencontrée elle coupait seule du bois et érigeait les tuteurs des plants de tomates. Sur le plan symbolique, cet acte illustre, en quelque sorte, l’attitude d’un peuple face à une nature indomptable. La première récolte du jardin, des concombres, est attendue pour décembre. Ce genre de démarches à une petite échelle, loin d’être dérisoires, font pleinement prendre conscience au visiteur attentif que la richesse de la Polynésie n’est pas uniquement liée à son soleil ou à ses plages de sable blanc. Héritage d’une culture séculaire, la force de ce territoire réside dans la générosité et la bonté de ses habitants.
Hôtel InterContinental Bora Bora
Resort Thalasso & Spa
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Moorea Island Beach Hotel
Le voyage a été offert part Tahiti Tourisme et Air Tahiti Nui* afin de réaliser ce reportage.
*La compagnie aérienne propose à ses passagers de compenser volontairement les émissions carbone de leur voyage.
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