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Pendant quelques mois, Air Tahiti Nui a espéré réaliser une année correcte au vu du contexte de crise du transport aérien. Las, la dégradation extrêmement brutale de la situation sanitaire en août en Polynésie française, l’instauration d’un couvre-feu et la mise en place de restrictions de voyage pour les non-vaccinés ont cassé la dynamique amorcée au printemps. Après avoir vu son chiffre d’affaires fondre de 60 % en 2020, la compagnie basée à Papeete s’apprête à voir son activité se réduire encore pour l’exercice 2021.
Le taux de remplissage s’est effondré très rapidement, explique à La Tribune Michel Monvoisin, PDG d’Air Tahiti Nui : alors qu’il se situé autour de 75 à 80 % au début de l’été, il a perdu 10 points en une seule semaine. Il se situe désormais autour de 50 % avec un gros différentiel entre les vols entrants et sortants.
Air Tahiti Nui maintient pour l’instant son programme de vols pour la fin de la saison été (clos fin octobre), avec six vols vers Paris par semaine (contre neuf avant crise), mais celui-ci doit être réévalué la semaine prochaine. La compagnie dispose encore d’engagements après le 15 septembre, mais la concrétisation de ce trafic restera soumise à l’évolution de la situation sanitaire locale. Ce sera ensuite la saison creuse jusqu’au printemps prochain.
Dès lors, Michel Monvoisin s’attend à enregistrer une baisse du chiffre d’affaires de l’ordre de 70% par rapport à 2019. Après avoir perdu plus de 68 millions d’euros nets en 2020, le PDG sait qu’il sera à nouveau dans le rouge en 2021 malgré un plan d’économies drastique lancé dès le début de la crise. « Nous avons vraiment réduit partout où nous le pouvions : distribution, marketing, communication… Nous avons taillé dans le vif, très tôt. » Ce fut notamment le cas avec la mise en œuvre d’un plan de départs volontaires (PDV) en novembre 2020, qui a entraîné une baisse de 17 % des effectifs – soit près de 130 personnes – pour une baisse de coûts annuels de l’ordre de 12 millions d’euros.
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Bien qu’il ne s’agisse encore d’estimations, cette situation va à nouveau mettre à mal les comptes de la compagnie. Au vu des pertes qui s’annoncent, Air Tahiti Nui va voir ses capitaux propres devenir inférieurs à la moitié du capital social et se devra de le signifier lors de sa prochaine assemblée générale, prévue vers juin 2022. La compagnie pourra poursuivre son activité mais disposera alors de deux ans pour boucler une recapitalisation.
« La priorité est de reconstituer nos fonds propres », indique Michel Monvoisin qui travaille à une opération capitalistique de grande ampleur. Celle-ci pourrait atteindre 80 à 90 millions d’euros, pour un chiffre d’affaires avant crise de 270 millions d’euros.
Cette recapitalisation pourrait s’appuyer sur trois piliers. Le premier, le plus évident, repose sur le soutien du gouvernement de Polynésie française. Déjà actionnaire majoritaire, avec 85 % du capital, la collectivité pourrait renforcer son engagement notamment grâce à un prêt accordé par l’Agence française de développement (AFD). Sur 300 millions d’euros débloqués à l’occasion de la visite du président de la République en Polynésie française en juillet dernier, 50 millions vont ainsi être fléchés pour la recapitalisation d’Air Tahiti Nui. Plusieurs options ont déjà été étudiées avec le gouvernement et la présidence polynésiens pour concrétiser cet investissement.
Problème, la législation locale limite l’actionnariat public dans le capital d’une entreprise privée à 85%, un seuil déjà atteint. L’injection de capitaux par la Polynésie française doit donc forcément « être accompagnée », comme l’explique Michel Monvoisin afin de ne pas franchir ce seuil. Air Tahiti Nui doit donc trouver un autre acteur capable de poser plusieurs dizaines de millions d’euros sur la table.
La situation pourrait se débloquer quelque peu dans les prochains mois. Le gouvernement polynésien travaille actuellement à une évolution de la loi pour assouplir ce carcan. Si elle se concrétise, seule la collectivité territoriale serait alors concernée par ce seuil tandis que les autres acteurs publics seraient exclus du calcul. Des acteurs publics pourraient alors librement entrer au capital aux côté de la collectivité.
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Les agences publiques polynésienne ne disposant pas de la surface nécessaire pour mener des opérations de cette ampleur, Michel Monvoisin s’est tourné du côté de l’Etat français pour l’accompagner. Au vu des sommes accordées à d’autres compagnies aériennes, le PDG d’Air Tahiti Nui espère un soutien de l’ordre de 20 à 30 millions d’euros supplémentaires et se déclare « très confiant ». Il a déjà reçu pour cela le soutien d’Emmanuel Macron, exprimé lors de sa visite fin juillet.
Mais derrière les intentions, cette opération est difficile à concrétiser en dépit d’une collaboration régulière avec le Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI), une entité de Bercy qui a pour mission d’aider les entreprises en difficulté. Bpifrance ou la Banque des territoires (Caisse des dépôts), en qui Michel Monvoisin voyait des candidats tous désignés pour porter cet investissement, ont déjà fait savoir qu’elles n’avaient pas la volonté d’entrer au capital d’une compagnie aérienne.
Quelque peu désabusé, le PDG précise que la Banque des territoires cherche pourtant à s’implanter en Polynésie française pour soutenir le tourisme et rappelle que la Caisse des dépôts participe à la société d’économie mixte Sematra, principal actionnaire d’Air Austral. La solution pourrait donc venir d’un investissement indirect d’un de ces acteurs via un véhicule financier, mais celui-ci reste à déterminer.
Quelle que soit la solution retenue, elle devra respecter les règles européennes sur les aides d’Etat. Bien qu’Air Tahiti Nui ne soit pas une compagnie communautaire, la Polynésie française n’étant qu’un territoire associé à l’Union européenne, le CIRI se doit pour sa part de respecter ces règles pour élaborer une solution.
Le dernier pilier de cette recapitalisation devrait passer par le recours aux capitaux privés. Michel Monvoisin a ainsi sondé ses actionnaires minoritaires et certains lui ont déjà signifié qu’ils participeraient au tour de table lorsque la recapitalisation se concrétisera. Ce devrait être le cas de la société d’économie mixte Banque Socredo. Les montants engagés seront néanmoins moindres que ceux qui pourraient être débloqués par la Polynésie française et pourraient se situer autour de la dizaine de millions d’euros.
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Pour Michel Monvoisin, ce soutien capitalistique doit venir compléter les aides déjà reçues, jusque-là destinées à générer de la trésorerie pour pallier à l’effondrement de l’activité. Air Tahiti Nui a ainsi bénéficié d’un prêt garanti par l’Etat (PGE) à hauteur de 66 millions d’euros et d’un prêt tourisme de Bpifrance de 2 millions d’euros, intégralement décaissés, du fonds de solidarité pour les entreprises (FSE), ainsi que de l’aide à la prise en charge des coûts fixes des entreprises, soit environ 80 millions d’euros en tout. Le gouvernement polynésien a également accordé une avance de trésorerie de près de 18 millions d’euros, versé sur un compte courant d’associés. Les modalités de remboursement ou de conversion en capital restent à définir.
« Ces aides sont appréciables et j’ai remercié l’Etat plusieurs fois, mais les autres ont eu plus », tempère néanmoins le président d’Air Tahiti Nui, qui rappelle notamment qu’il n’a pas pu bénéficier de l’activité partielle de longue durée (APLD) – bien plus avantageux que le dispositif polynésien – au contraire de ses concurrents Air France et French Bee.
« Nous sentons quand même de la distorsion de concurrence, et pas qu’avec les compagnies françaises. Les compagnies nationales comme Air France, IAG et Lufthansa en Europe et Delta Air Lines, United et American Airlines aux Etats-Unis ont quand même été bien aidées. Le problème est que ces grosses compagnies ont beaucoup d’avions. Dès qu’il y a une opportunité d’ouverture, elles mettent de la capacité », poursuit Michel Monvoisin avant d’appuyer son propos avec l’exemple de United Airlines « revenue en force sur la ligne San Francisco-Papeete avec un avion plus gros, en passant du Boeing 787-8 au 787-9, et des tarifs très bas. C’est quand même la troisième compagnie au monde qui a reçu quelques dizaines de millions de dollars d’aides (United a reçu environ 10 milliards de dollars de la part du gouvernement pour soutenir le paiement des salaires, dont une partie de subventions, en plus de facilités de crédit à hauteur de 7,5 milliards, NDLR). »

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