Institution indépendante régie par le droit public français et européen, membre de l’Eurosystème, système fédéral qui regroupe la Banque centrale européenne et des banques centrales nationales de la zone euro
La Banque de France contribue à la définition de la politique monétaire de la zone euro et s’assure de sa mise en œuvre en France pour le compte de l’Eurosystème.
L’une des missions fondamentales de la Banque de France est d’assurer la stabilité financière, c’est-à-dire un fonctionnement efficace du système financier et suffisamment robuste pour résister aux chocs susceptibles de l'affecter.
Notre expertise économique est présentée en termes de recherche, de prévisions et de relations internationales. Ces activités, intimement liées, contribuent au diagnostic nécessaire à la conduite de la politique monétaire.
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Mesdames, Messieurs,
C’est avec grand plaisir que je vous accueille aujourd’hui dans les locaux de la Banque de France pour le 15e Forum des marchés émergents. « Naviguer dans un monde de turbulences et de mutations rapides » requiert certainement de grandes compétences, et les évolutions récentes du système financier international nous rappellent qu’à l’heure actuelle, nous naviguons dans des eaux particulièrement agitées. Nous observons des perturbations des chaînes de valeur mondiales dues à la pandémie toujours en cours. Le commerce international pourrait se ralentir ou même se contracter si ces perturbations provoquent une vague importante de relocalisations. Aujourd’hui, la guerre brutale en Ukraine a induit de nouvelles perturbations de l’offre, et a amené nos dirigeants démocratiques à prendre des sanctions financières en réponse.
Dans ce contexte incertain, notre mission première en tant que banque centrale est une politique monétaire adéquate. Le consensus émerge désormais clairement au sein du Conseil des gouverneurs, comme l’a résumé Christine Lagarde dans son discours de mercredi dernier1 : pour lutter contre une inflation qui est non seulement plus élevée, mais également plus généralisée, nous devons maintenant normaliser notre politique monétaire. Je n’ajouterai pas de prévision de calendrier précis aux pronostics, nombreux, qui ont déjà été formulés, mais je m’attends à une réunion décisive en juin et à un été actif. Le rythme des étapes suivantes prendra en compte les données relatives à l’activité et à l’inflation effectives avec optionalité et progressivité, mais nous devons nous diriger au moins vers le taux neutre2. Et je voudrais souligner ceci : nous surveillerons attentivement les évolutions du taux de change effectif, qui influent significativement sur l’inflation importée. Un euro trop faible irait à l’encontre de notre objectif de stabilité des prix.
D’un point de vue plus structurel, une question fondamentale est de savoir si nous nous dirigeons vers un système financier international fragmenté, aux dépens de la fluidité des échanges et des transactions financières ? Malgré les difficultés, (I) nous ne devons pas abandonner, en tant que « frontière créatrice » à l’horizon, l’idée d’un système financier international fondé sur une coopération multilatérale et (II) nous devons assurément développer le rôle international de l’euro comme une avancée réaliste.
1. Les raisons pour lesquelles la question d’une refondation du système financier international est progressivement passée au second plan
Depuis les années 1970, il ne s’est pas passé grand-chose pour le système financier international. Même si le système de Bretton Woods fondé sur des taux de change fixes et l’ancrage sur l’or a disparu lorsque la convertibilité du dollar en or a pris fin, le nouveau système monétaire international est resté basé sur le dollar américain. Ce système fondé sur le dollar a progressivement intégré une plus grande flexibilité des taux de change. Il a permis l’essor du commerce et des flux de capitaux. Dans ce contexte, l’idée d’une monnaie mondiale n’a rencontré que peu de succès dans les débats universitaires – et encore moins dans les débats politiques.
À cet égard une exception récente, que je voudrais saluer ici, mérite d’être soulignée. En 2010, Michel Camdessus a lancé l’initiative du Palais Royal, qui mettait en lumière les lacunes du système financier international, en particulier sa gouvernance mondiale et une dépendance excessive à l’égard d’une monnaie centrale unique. L’initiative suggérait d’attribuer un rôle plus important aux droits de tirage spéciaux (DTS) et de renforcer la coopération entre la Banque mondiale, le FMI et le G20.
Toutefois, d’autres projets majeurs se sont vu accorder en parallèle une plus grande priorité – par exemple, la création et le développement de l’euro, qui ont été une réussite – ou ont été dictés par la nécessité – par exemple, le renforcement du filet de sécurité financière mondial induit par la grande crise financière, puis par la crise de la Covid.
Cela étant, il y a eu des progrès significatifs tels que l’augmentation des ressources du FMI, les deux allocations de DTS (notamment la dernière de 650 milliards de dollars en 2021) et la création par le FMI, le 1er mai dernier, d’un Fonds fiduciaire pour la résilience et la durabilité (Resilience and Sustainability Trust, RST), qui permettront de respecter l’engagement du G20 de réorienter au moins 100 milliards de dollars de cette allocation vers les pays qui en ont besoin.
2. Les dangers d’un système financier fragmenté
Mais des dangers nous attendent. Nous devons éviter de passer d’un système fondé sur le dollar à un « non-système » confrontationnel dans lequel, par exemple, un monde fondé sur le dollar s’opposerait à un monde fondé sur le renminbi. Nous pouvons tous nous accorder sur le fait qu’une telle fragmentation génèrerait de l’instabilité, notamment en créant un risque de mouvements de transferts d’une monnaie à l’autre3. Les dévaluations compétitives de monnaies entre les deux guerres mondiales ont créé ce genre d’instabilité, quand le dollar et la livre sterling se disputaient le leadership. La fragmentation pourrait également donner lieu au développement de systèmes de paiement séparés disposant d’une interopérabilité limitée. Et cela pourrait nuire au filet de sécurité financière mondial (car les réserves pourraient être moins convertibles) avec, en conséquence, une allocation sous-optimale du capital. Autre sujet actuel de préoccupation : la réticence de la Chine à rejoindre la communauté internationale de coopération dans le processus de traitement de la dette, le Cadre commun. Enfin, nous espérons tous que les sanctions et autres mesures prises face à une situation d’urgence seront retirées après le règlement pacifique de la situation géopolitique.
Outre cette fragmentation publique – ou géopolitique –, il existe un risque de fragmentation « privée » liée à un développement désordonné des crypto-actifs, parmi lesquels les « stablecoins », qui portent plutôt mal leur nom. Comme le démontrent les turbulences observées sur les marchés financiers au cours des dernières semaines, ils sont potentiellement très instables. Nous insistons depuis longtemps sur les risques liés à de tels investissements spéculatifs. Mais ce n’est pas suffisant : cela doit être considéré comme un puissant appel à une réglementation mondiale, qu’il est urgent de mettre en place. Du côté européen, nous sommes sur la bonne voie avec le règlement MiCA. Les crypto-actifs pourraient perturber le système financier international s’ils ne sont pas régulés et surveillés de manière cohérente et appropriée dans l’ensemble des juridictions, et s’ils ne sont pas interopérables. C’est pourquoi j’ai évoqué le danger d’une fragmentation des paiements comparable à celle du Moyen-Âge, avec des « cryptomonnaies » opérant dans des cercles restreints et avec une acceptation limitée.
3. Mais sommes-nous d’accord sur les solutions ?
En principe, oui. Pour éviter de répéter les erreurs du passé, il nous faudra enclencher une dynamique collective vers un système financier international stable, multipolaire et axé sur les marchés. Un système financier international davantage multipolaire permettrait de faire face à la version moderne du dilemme de Triffin : l’offre d’actifs sûrs mondiaux en dollars est limitée par la capacité budgétaire des États-Unis, alors même que la demande pour ces actifs est vouée à croître. Cela permettrait également aux marchés émergents de disposer d’une plus grande indépendance en matière de politique monétaire, en réduisant l’influence des contagions des cycles financiers et réels américains. Cela étant, les conditions politiques nécessaires à un tel changement majeur ne sont pas actuellement réunies, c’est le moins qu’on puisse dire : pour des hommes politiques réalistes, imaginer les États-Unis, la Chine et d’autres grandes économies émergentes converger aujourd’hui vers un nouveau système financier international, alors qu’ils ne l’ont pas fait pendant des décennies, pourrait relever de l’utopie. Permettez-moi d’être plus positif : nous devons garder à l’horizon ce concept d’un système multipolaire mieux équilibré, au moins comme une « frontière créatrice ».
Et nous, Européens, devons être actifs et engagés dans ce qui dépend de nous. Pour s’orienter vers un système mondial plus résilient, l’euro devrait jouer un rôle international plus important. C’est la monnaie d’une juridiction dotée d’institutions démocratiques solides et stables, dont des banques centrales indépendantes, qui reposent sur l’état de droit. L’euro peut désormais se targuer d’un bilan solide de plus de 20 ans : il est soutenu par un soft power fondé sur le respect des règles internationales, le multilatéralisme et l’ouverture. L’euro est également au centre de vastes liens commerciaux internationaux. Il est à tout le moins un complément crédible du dollar en tant qu’actif sûr.
Depuis l’introduction de l’euro et durant les deux dernières décennies, l’Eurosystème a adopté une position neutre concernant le développement du rôle international de l’euro. Ce rôle ne fait pas partie des objectifs du Traité. L’euro a été créé à des fins internes pour éviter les fluctuations de change à l’intérieur de l’Europe et pour accélérer la convergence économique entre les États membres, et non en premier lieu pour jouer le rôle de monnaie internationale. Les évolutions économiques depuis 1999 ont atténué les craintes exprimées à l’époque d’une potentielle perte de contrôle sur la politique monétaire en cas d’internationalisation rapide de l’euro. Un renforcement du rôle international de l’euro serait aujourd’hui associé à une plus grande autonomie de la politique monétaire et à un impact réduit des chocs de taux de change sur l’inflation. Après une décennie d’existence, l’euro était devenu, lors de la grande crise financière, la deuxième monnaie la plus utilisée dans le monde. Mais cette progression s’est arrêtée depuis. Aujourd’hui, l’euro représente toujours 20 % environ des portefeuilles de devises mondiales détenus par les banques centrales et un peu moins de 20 % de la dette et des prêts à l’échelle mondiale. D’après les données SWIFT, presque 40 % des transactions sont libellées en euro. C’est véritablement la deuxième monnaie la plus importante dans le monde, après le dollar.
La Commission européenne a récemment pris des mesures pour renforcer davantage encore le rôle de l’euro, et ces mesures sont tout à fait bienvenues4. La Commission a notamment adopté un ensemble de mesures de relance par les marchés de capitaux (Capital Markets Recovery Package), qui a apporté les modifications ciblées nécessaires au développement de dérivés libellés en euro pour l’énergie et les matières premières.
1. Fournir des actifs sûrs libellés en euro et renforcer l’Union des marchés de capitaux
La force d’une monnaie internationale se mesure aux actifs sûrs qu’elle est capable d’offrir. Le marché de la dette souveraine en euro reste fragmenté et seul un petit nombre d’États membres émettent des actifs mondiaux en quantité suffisante. De ce point de vue, des évolutions intéressantes sont récemment intervenues en Europe. En juin 2021, l’Europe a lancé le programme Next Generation EU (NGEU) qui va permettre de lever 800 milliards d’euros via une émission conjointe d’obligations européennes. Plus globalement, l’approfondissement de l’Union européenne des marchés de capitaux devrait, enfin, être déterminante5. Il contribuera à une meilleure allocation des capitaux au sein de la zone euro ainsi qu’à la stabilité et à l’équilibre du système financier international.
Une telle initiative est importante car nous sommes confrontés à de nouveaux défis. La transition vers une économie plus verte va nécessiter de financements très importants, et la transformation numérique nécessitera également des investissements, à la fois publics et privés. Tout cela plaide pour que les investissements dans les biens publics mondiaux soient de plus en plus gérés au niveau de l’UE.
Deux questions restent encore ouvertes. Comment résoudre le dilemme de Triffin et quel rôle l’Europe jouera-t-elle dans le filet de sécurité financière mondial ? Un euro plus international offrira plus de choix pour la constitution de réserves de liquidité à l’échelle mondiale, mais l’objectif n’est évidemment pas de faire de l’euro une monnaie dominante. Au contraire, notre objectif serait de disposer de plusieurs devises pour favoriser la stabilité du système financier international grâce à une diversification des risques.
S’agissant du filet de sécurité mondial, la zone euro a initié un saut quantique au niveau de la strate régionale en créant le Mécanisme européen de stabilité (MES). En outre, les pays de la zone euro ont joué un rôle déterminant dans le renforcement des ressources du FMI ainsi que dans l’allocation et la réorientation des DTS. Le poids de l’euro dans le panier de DTS devrait s’accroître à l’avenir, proportionnellement à sa plus grande utilisation à l’échelle internationale. Enfin, l’Eurosystème fournit déjà de la liquidité internationale par le biais des lignes de swap et des facilités de repo existantes, mises en place avec d’autres banques centrales, et se tient prêt à faire davantage si et quand cela s’avère nécessaire.
2. La facturation des échanges internationaux
L’UE étant considérée comme le plus gros bloc commercial au monde, l’euro dispose d’une importante marge d’amélioration en tant que monnaie de facturation des échanges internationaux6. Le choix d’une monnaie de facturation est un phénomène complexe et largement privé7, résultant en partie de la structure des chaînes de valeur mondiales, qui sont en train d’être redéployées. Le développement de l’euro comme monnaie de facturation, notamment sur le marché de l’énergie et dans le cadre des accords de libre-échange, constituerait une étape importante dans l’acquisition d’un rôle mondial8. En effet, cela inciterait à mettre des euros en réserve pour financer des échanges futurs et aboutirait par conséquent au développement d’une gamme complète d’instruments financiers fondés sur l’euro.
3. Préserver les paiements transfrontières grâce aux avancées technologiques dans les infrastructures financières internationales
La zone euro doit se maintenir à la frontière technologique en matière de paiements transfrontières, y compris pour l’agenda du G20 adopté en octobre 2021. La feuille de route du G20 jusqu’en 2027 constitue en effet un engagement en faveur d’améliorations profondes dans ce domaine, notamment en fixant des objectifs ambitieux en matière de coûts, de vitesse et d’accessibilité des paiements transfrontières. Mais l’enjeu pour l’ensemble des parties prenantes, banques centrales, régulateurs ainsi que pour le secteur privé, est de produire des résultats qui répondent en définitive aux attentes de l’utilisateur final. Cela reste une priorité stratégique pour la Banque de France qui, en parallèle, a ouvert la voie à une solution plus prospective : à savoir une MNBC de gros qui pourrait être émise par l’Eurosystème, grâce au déploiement d’expérimentations telles que le projet Jura pour les paiements de gros transfrontières mené en coordination avec la Banque nationale suisse.
Dans les années 1960, le secrétaire d’État au Trésor américain, Henry Fowler avait alerté sur le fait que « permettre la constitution de réserves et les échanges dans le monde entier est trop lourd à porter pour un seul pays et une seule monnaie »9. À cela nous répondons : « Nous, dans la zone euro, sommes heureux de pouvoir aider ». Je vous remercie de votre attention et vous souhaite un bon forum.
1 Lagarde, C., Challenges along Europe’s road, discours, 11 mai 2022
2 Villeroy de Galhau, F., L’Eurosystème et sa politique monétaire : d’un « dilemme impossible » à une feuille de route possible pour la normalisation, discours, 6 mai 2022
3 Article du Quarterly Journal of Economics, Fahri et Maggiori (2018)
4 Cf. les Conclusions du Conseil sur l’autonomie stratégique économique et financière de l’UE: un an après la communication de la Commission.
5 Villeroy de Galhau (F.), « Union des marchés de capitaux : libérer le potentiel de l’Europe », discours, 30 novembre 2021.
6 ECB report on RIE : en 2020, seulement 60 % des exportations de biens hors zone euro ont été facturés en euro.
7 Recherches récentes menées par Amiti, Itskhoki et Konings (2020)
8 Cf. le document « Trade and investments in energy in the context of the EU common commercial policy »
9 Citation disponible ici