Institution indépendante régie par le droit public français et européen, membre de l’Eurosystème, système fédéral qui regroupe la Banque centrale européenne et des banques centrales nationales de la zone euro
La Banque de France contribue à la définition de la politique monétaire de la zone euro et s’assure de sa mise en œuvre en France pour le compte de l’Eurosystème.
L’une des missions fondamentales de la Banque de France est d’assurer la stabilité financière, c’est-à-dire un fonctionnement efficace du système financier et suffisamment robuste pour résister aux chocs susceptibles de l'affecter.
Notre expertise économique est présentée en termes de recherche, de prévisions et de relations internationales. Ces activités, intimement liées, contribuent au diagnostic nécessaire à la conduite de la politique monétaire.
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La Banque de France remplit plusieurs missions dans le domaine fiduciaire : la fabrication des billets, la mise en circulation des billets et des pièces, le contrôle des billets remis en circulation. Elle pilote avec ses clients la modernisation du métier
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Christophe JAKUBYSZYN
C’est donc un jour historique effectivement hier le 9 juin, et au lendemain de ce jour historique, le gouverneur de la Banque de France François VILLEROY de GALHAU est notre invité. Bonjour Monsieur le gouverneur.
François VILLEROY de GALHAU
Bonjour.
Christophe JAKUBYSZYN
Merci d’être avec nous ce matin pour expliquer aux Français ce qui les attend en matière de taux d’intérêt puisque vous avez amorcé le virage hier. Vous avez annoncé, ça y est, les taux vont monter. À partir du 21 juillet 0,25, en septembre 0,25 ou 0,50, on verra, et ce n’est qu’un début.
François VILLEROY de GALHAU
Nous avons pris cette décision hier face à une préoccupation qui est la préoccupation numéro un des Français et des Européens, c’est une inflation trop élevée. Nous avons aussi publié des prévisions. L’inflation totale devrait atteindre 7 % cette année en moyenne dans la zone euro. Je note au passage qu’elle est inférieure en France, mais en France aussi elle est trop haute : un peu plus de 5 %. Et l’inflation est non seulement trop haute mais elle est trop large: il y a bien sûr le choc de l’énergie consécutif à la guerre en Ukraine, mais quand on regarde l’inflation hors énergie et alimentation, ce qu’on appelle l’inflation cœur, elle est autour de 3,5 donc très au-dessus de notre objectif de 2 %. C’est cela qui impose la normalisation de la politique monétaire.
Christophe JAKUBYSZYN
Donc elle n’est plus provisoire cette inflation comme on l’a cru à un moment donné.
François VILLEROY de GALHAU
Tout dépend, Christophe JAKUBYSZYN, de ce qu’on entend par le mot provisoire. Nous sommes fermement résolus et engagés à ce que l’inflation revienne à notre objectif de 2 % à moyen terme.
Christophe JAKUBYSZYN
Est-ce qu’on a actionné la spirale prix/salaires selon vous ?
François VILLEROY de GALHAU
Non à ce stade. Nous observons un certain nombre de signes de hausse des salaires dans certains pays européens mais je crois qu’il est très important que les salaires restent décentralisés, au plus près de la négociation sociale et de la réalité économique de chaque entreprise et de chaque branche. Mais le point cœur c’est l’inflation: c’est ce que nous avons comme boussole, et cette boussole correspond à l’attente de nos concitoyens, que nous ramenions l’inflation au bon niveau.
Audrey MAUBERT
Est-ce que cette hausse des taux ne peut pas générer d’autres problèmes ? On a en ligne de mire ce risque de fragmentation. On pense au cas italien et il y a des outils qui ont été évoqués hier par Christine LAGARDE.
François VILLEROY de GALHAU
Oui.
Audrey MAUBERT
Quels seront-ils ?
François VILLEROY de GALHAU
Ce qu’on appelle la fragmentation, ce sont des écarts de taux tout à fait excessifs et injustifiés entre les pays de la zone euro, qui gênent d’ailleurs la bonne transmission de la politique monétaire. Là, je crois qu’il faut regarder dans notre histoire, les plus de vingt ans de l’euro: nous avons toujours su combattre cette fragmentation. En 2010, en 2012, en 2020, à chaque fois avec des instruments différents. Alors pardon, je vais employer des acronymes un peu barbares: cela s’appelait le SMP en 2010, l’OMT en 2012, le PEP en 2020.
Christophe JAKUBYSZYN
Ça s’appellera en 2022 ou 2023 ?
François VILLEROY de GALHAU
Et donc personne ne doit avoir le moindre doute y compris sur les marchés, quant à notre volonté collective d’empêcher cette fragmentation. Nous en avons parlé hier, vous avez peut-être noté que c’était un Conseil des gouverneurs à l’unanimité.
Christophe JAKUBYSZYN
Oui.
François VILLEROY de GALHAU
Nous avons la volonté, et personne ne doit avoir de doute que nous aurons les instruments si nécessaires et quand nécessaire. Je veux le dire très clairement.
Audrey MAUBERT
On ne sait pas lesquels mais il y aura les instruments.
François VILLEROY de GALHAU
Je vous ai rappelé l’histoire. À chaque fois, nous avons trouvé les instruments adaptés quand il fallait et s’il fallait face à des situations de tension.
Christophe JAKUBYSZYN
Pour être très clair, s’il y a un maillon faible au sein de l’Europe, si un pays décroche, en tout cas n’a plus la confiance des investisseurs et donc si ces taux d’intérêt s’envolent, la Banque centrale européenne volera à son secours.
François VILLEROY de GALHAU
C’est ce qu’on appelle la fragmentation injustifiée. Ce n’est pas un pays qui aurait une politique économique mal adaptée ou divergente, ce sont des écarts de taux qui ne sont pas justifiés, qui sont jugés excessifs. Et là, personne ne doit avoir de doute. Nous avons toujours su le faire et nous saurons le faire si nécessaire, quand nécessaire, et avec les instruments appropriés.
Christophe JAKUBYSZYN
En augmentant les taux comme vous allez le faire, vous allez d’abord aller jusqu’où ? C’est quoi ? Tout à l’heure, on a eu le débat avec Doze/Daniel. Selon les économistes, c’est 3 % le point d’arrivée ? C’est 5 % le point d’arrivée
François VILLEROY de GALHAU
Aujourd’hui, nous marquons un départ sur un chemin, une mise en route. Pourquoi y a-t-il cette normalisation ? Je tiens beaucoup au mot normalisation et pas resserrement. C’est qu’on sort de conditions monétaires qui étaient exceptionnelles, exceptionnellement accommodantes, parce que l’inflation était trop basse. Je vous rappelle que début 2021 – ce n’est pas très vieux, c’est il y a un peu plus d’un an – l’inflation était à 0, ce qui était l’inquiétude inverse.
Christophe JAKUBYSZYN
Oui.
François VILLEROY de GALHAU
Sortir de ces conditions exceptionnelles, cela veut dire arrêter les derniers achats nets d’actifs, le fameux QE, et sortir des taux négatifs. Ce sera fait, vous l’avez dit, au mois de septembre. Ensuite nous aurons un relèvement progressif mais soutenu des taux d’intérêt jusqu’à des niveaux normaux. Alors les économistes parlent du « taux neutre »…
Christophe JAKUBYSZYN
Vous parlez du taux normal Monsieur le gouverneur.
François VILLEROY de GALHAU
On emploie le mot qu’on veut, sur le taux neutre il n’y a d’ailleurs pas de chiffrage précis, mais c’est le taux d’équilibre quand on est en conjoncture neutre.
Christophe JAKUBYSZYN
C’est combien ?
François VILLEROY de GALHAU
J’ai eu l’occasion de dire personnellement une estimation qui est entre 1 et 2 %. Peut-être faudra-t-il aller au-delà. Mais encore une fois, c’est un chemin, et un chemin que nous suivrons avec beaucoup de pragmatisme, c’est-à-dire en fonction de l’évolution des données d’inflation.
Christophe JAKUBYSZYN
Vous n’avez pas peur de tuer la croissance ?
François VILLEROY de GALHAU
Non. D’abord, je le redis, c’est une normalisation: ce n’est pas un resserrement, c’est le retour à des conditions monétaires normales. Il se trouve que par ailleurs l’inflation, c’est l’inquiétude numéro un qui pèse sur la croissance.
Christophe JAKUBYSZYN
La croissance aussi.
François VILLEROY de GALHAU
Vous interrogez tous nos concitoyens et tous les Européens, c’est l’inflation aujourd’hui qui pèse sur la croissance, parce qu’elle pèse sur le pouvoir d’achat et donc sur la consommation, comme sur la confiance. Et puis nous avons un mandat qui est la stabilité des prix. Nous allons, croyez-moi, remplir ce mandat.
Christophe JAKUBYSZYN
Monsieur le gouverneur, souvent vous rappelez les Etats à leur devoir de maîtriser quand même leurs dépenses et leur dette. Est-ce que vous avez l’impression que la France commence un peu à dépenser au-delà de ses moyens ?
François VILLEROY de GALHAU
Alors cela n’a pas de rapport avec notre décision de politique monétaire d’hier…
Christophe JAKUBYSZYN
Quand on augmente les taux, on envoie un signal aux Etats en leur disant…
François VILLEROY de GALHAU
Non, ce n’est pas un signal. Nous n’avons qu’une boussole, l’inflation. C’est assez simple. Quand nous menions cette politique monétaire accommodante, ce n’était pas pour financer les déficits ou pour faire plaisir aux Etats. Quand nous normalisons, ce n’est pas pour envoyer un avertissement aux gouvernements. Ceci dit, j’ai eu l’occasion de dire que l’illusion en France d’une dette publique qui soit sans coût et sans limite, c’était une illusion extrêmement dangereuse. Donc nous devons assurer la maîtrise de notre endettement.
Christophe JAKUBYSZYN
Alors une question aussi. Pourtant, j’ai envie de dire, Jean-Luc MELENCHON dans son programme veut dépenser 250 milliards de dépenses publiques et il dit qu’il a fait tourner le modèle de la Banque de France et que ces 250 milliards d’euros de dépenses vont rapporter à l’Etat 267 milliards de recettes, grâce à la croissance qui va être créée, l’emploi, les cotisations sociales, les taxes, les impôts. Vous lui avez donné accès à votre modèle ?
François VILLEROY de GALHAU
Je veux redire que la Banque de France est totalement indépendante et qu’elle n’a pas à faire de commentaire politique. Mais c’est mon devoir d’apporter certaines précisions factuelles pour répondre à votre question. D’abord la Banque de France n’a évidemment pas chiffré ni encore moins validé aucun programme des candidats. Elle met en garde en particulier contre l’utilisation mécanique et trop optimiste de ce qu’on appelle des multiplicateurs budgétaires sortis de tout contexte.
Au contraire, si la France dépensait trop et devait emprunter encore davantage, elle inspirerait moins confiance à ses prêteurs, et le coût de sa dette pourrait augmenter rapidement. Pour vous citer un exemple, en 2018 l’Italie avait suscité des doutes sur son engagement européen et elle avait vu en quelques semaines monter de 1,5 % le coût de tous ses nouveaux emprunts, non seulement pour la dette publique mais aussi pour les emprunts des particuliers et des entreprises. Dernière précision peut-être, c’est que contrairement à ce qu’avancent certains, il ne faudrait pas dans ce cas compter sur la Banque centrale européenne pour acheter davantage de dette publique française. Elle ne le ferait pas, notamment pour ne pas nourrir l’inflation qui est, on l’a dit, la première préoccupation des Français.
Christophe JAKUBYSZYN
Vous ne ferez pas tourner la planche à billets.
François VILLEROY de GALHAU
La BCE ne pourrait pas davantage annuler la dette publique française parce que c’est contraire au traité fondateur de l’euro. Pour le dire très simplement, on ne peut pas à la fois vouloir garder l’euro, ce qui est très bien, et refuser les règles du jeu collectif européen.
Audrey MAUBERT
François VILLEROY de GALHAU, Emmanuel LECHYPRE nous a rejoints. Vous parliez tout à l’heure de début de hausse des salaires, constaté et confirmé hier Emmanuel LECHYPRE, parce que la BCE observe un début de hausse des salaires qui alimenterait un retour d’inflation.
Emmanuel LECHYPRE
Oui. Cet argument a été employé hier, alors même si ce n’était pas l’argument majeur, mais de dire qu’effectivement : oui, on voit que les salaires commencent à augmenter. Et la question que je me suis posée : mais finalement, c’est à quel niveau il faut commencer à s’inquiéter de la hausse des salaires et les banques centrales, qui ont été tellement innovantes au moment où il a fallu baisser les taux d’intérêt dans les moments de crise, au moment où il va falloir remonter les taux, je me suis dit : on voit revenir les vieux arguments traditionnels. Et est-ce que finalement dans les phases d’amorce de hausses de taux, les banques centrales ne retrouvent pas un peu trop de vieux réflexes ? J’ai regardé les hausses de salaires qui sont prévues pour le moment si on prend le cas de la France, beaucoup de branches disent entre 2,5 et 3,5 % d’augmentation. C’est quand même très peu. Quand on regarde l’état, le fonctionnement du marché du travail en Europe, on voit qu’en général la diffusion des hausses de salaires elle est quand même très lente dans l’économie. Et puis quand on regarde aussi – prenez l’évolution des salaires et de la productivité par exemple, on se dit : oui, le niveau dangereux pour l’inflation c’est quand finalement les salaires augmentent plus vite que la productivité.
Christophe JAKUBYSZYN
Exactement.
Emmanuel LECHYPRE
Alors il n’y a qu’en France que ça se voit. Dans aucun autre pays européen ça n’est le cas. Donc je m’interrogeais, Monsieur le gouverneur, sur cette idée. C’est quoi le niveau inquiétant d’augmentation des salaires ?
Christophe JAKUBYSZYN
Vous pouvez répondre, François VILLEROY de GALHAU.
François VILLEROY de GALHAU
J’ai pour une fois un désaccord avec Emmanuel LECHYPRE, que j’écoute toujours avec grand intérêt. Cet argument de la hausse des salaires n’est pas du tout central dans la décision que Christine LAGARDE a annoncée hier. Encore une fois notre boussole c’est l’inflation, et cela correspond à la préoccupation des familles. L’inflation est beaucoup trop élevée et beaucoup trop large en France et en Europe. Donc c’est pour cela que nous normalisons. Moi je n’ai jamais donné de recommandations sur le niveau des salaires et Christine LAGARDE non plus. Je dis juste deux choses. C’est qu’il est souhaitable que la négociation salariale se passe de façon décentralisée, au plus près de la réalité économique des entreprises et des branches et au plus près du dialogue social, dans le dialogue social. La deuxième chose, nous l’avons dit avec beaucoup de force hier, c’est qu’on peut compter sur la Banque centrale européenne et la Banque de France pour ramener l’inflation au niveau souhaitable, c’est-à-dire à 2 %. Ce n’est pas seulement une prévision, c’est un engagement. C’est très important pour les salariés.
Christophe JAKUBYSZYN
Vous allez vraiment y parvenir François VILLEROY de GALHAU ?
François VILLEROY de GALHAU
Oui.
Christophe JAKUBYSZYN
On parle toujours de ce tube de dentifrice. Quand la pâte commence à sortir, pour la faire rentrer c’est compliqué, parfois ça échappe à tout contrôle.
François VILLEROY de GALHAU
Non, mais c’est pour cela qu’il est important d’agir à temps, et de façon proportionnée, adaptée. C’est ce que nous faisons avec la normalisation. Et oui, nous allons ramener l’inflation à 2 %.
Emmanuel LECHYPRE
Et le coût du crédit va augmenter beaucoup pour les Français ou pas ?
François VILLEROY de GALHAU
On va revenir en termes de taux d’intérêt vers des taux plus normaux, et cela va être une remontée progressive. Vous savez, tout le monde l’a un peu oublié mais historiquement, le crédit immobilier par exemple est plutôt de l’ordre de 2 ou 3 %, je ne vais pas faire de pronostics. Et cela n’a pas empêché l’immobilier de bien se financer. Donc on sort de conditions exceptionnellement favorables, qui étaient justifiées par une inflation qui était trop faible, et on va vers des conditions plus normales de financement.
Christophe JAKUBYSZYN
C’est comme un grand paquebot : on tourne le gouvernail et il faut manœuvrer de manière anticipée, pas trop brusquement et on espère que vous allez nous mener à bon port, Monsieur le gouverneur.
François VILLEROY de GALHAU
Nous y sommes engagés et décidés, Christophe JAKUBYSZYN.
Christophe JAKUBYSZYN
Merci en tout cas infiniment d’avoir été notre invité dans Good Morning Business.