En se rendant en Polynésie française en juillet 2021, le président Emmanuel Macron avait promis d’ouvrir les archives sur les essais nucléaires, reconnaissant que la nation avait une dette envers les Polynésiens et que l’État leur devait la vérité. Entre 1966 et 1996, l’armée a procédé à 193 tirs dans l’archipel français. Chose promise, chose faite. Depuis le 5 octobre 2021, la Commission d’ouverture des archives des essais nucléaires en Polynésie française étudie et déclassifie de nombreux documents. Seuls ceux comportant des informations proliférantes – des informations sensibles qui permettraient de concevoir une arme nucléaire – restent sous scellé.
Profitant de l’accès à ces nouvelles données, Renaud Meltz et Alexis Vrignon, entourés d’une quinzaine de chercheurs, ont rassemblé dans Des Bombes en Polynésie (Éditions Vendémiaire, sorti le 7 avril) toutes les informations dont ils disposaient pour raconter l’histoire de ces essais nucléaires controversés. “On a pu consulter in extremis quelques dizaines de cartons [de documents] et intégrer des nouveautés dans le bouquin, explique Renaud Meltz. Il y a encore des montagnes d’archives à déclassifier. Mais ce livre est une première étape où on propose un socle nouveau et des connaissances nouvelles”.

Pourquoi la Polynésie, et non la Corse ou la Nouvelle-Calédonie, comme envisagé par les autorités ? Quelles réactions de la population ? Quels secrets ? Quels risques? Les chercheurs tâchent de répondre à toutes ces questions dans ce nouvel ouvrage, qui se veut exhaustif, traitant le sujet d’un point de vue historique, sociologique, environnemental, économique, mais aussi mémoriel.
L’armée était vraiment de bonne foi, persuadée que le premier essai nucléaire n’allait poser aucun problème“, expose Renaud Meltz, professeur d’histoire contemporaine et membre de l’Institut Universitaire de France. Sauf que dès le premier tir, le 2 juillet 1966, des retombées arrosent l’archipel des Gambier, alors que la population n’a pas été évacuée et qu’aucun abri n’a été construit.
Ce qu’on a appris [dans les archives déclassifiées], c’est que les militaires choississent délibérément de ne pas évacuer préventivement les habitants des Gambier. Ils auraient pu le faire. Mais pour des raisons psychologiques et politiques – pour ne pas alerter sur la dangerosité des essais – ils ne l’ont pas fait.

Les auteurs soulignent l’attitude de l’armée qui, à l’époque, se rend compte du danger des tirs, mais dissimule délibérément la gravité et l’ampleur du phénomène.

Les archives prouvent néanmoins que, face aux premières difficultés, l’armée a tenté de trouver des solutions : “Au début, les militaires pensaient faire neuf à dix essais par an. Mais ils réalisent vite que les conditions météo ne sont pas assez stables et que si on fait neuf ou dix essais par an, on prend trop de risque de ne pas avoir suffisamment de jours de visibilité, de temps calme. Du coup, il passe à six ou sept tirs. Et pour ce faire, ils décident de tirer beaucoup plus en altitude”, détaille le co-directeur de l’ouvrage.
Mais cette prise de conscience des risques de contamination de la population et de l’environnement n’amène pas forcément à des tirs plus propres de la part de l’armée. Il y un an, un livre-enquête intitulé Toxique révélait qu’un essai en 1974 avait contaminé des dizaines de milliers de Polynésiens à Tahiti, à cause d’une mauvaise météo. “Ce qui est curieux, indique Renaud Meltz, c’est qu’au moment où on tire Centaure [le nom de l’essai nucléaire en question], on ne communique pas du tout sur l’erreur du présent. Mais au contraire, on laisse entendre qu’il y a pu avoir des erreurs avant, lors des premiers tirs.”
On communique sur un problème qui a huit ans pour mieux éviter de communiquer sur le problème du moment.
Face aux aléas rencontrés sur le terrain, la France se rapproche de manière informelle des États-Unis, pays allié lui-même puissance nucléaire. “Mais, ce que j’ai découvert à ma grande surprise, c’est que les Français ont déclenché un grand plan d’espionnage pour essayer de savoir comment les Américains essayaient de prévenir les contaminations par ingestion”, relate le professeur, qui ne sait cependant pas ce que cet espionnage a apporté aux militaires français.
Le problème, résume Renaud Meltz, c’est que la France s’est sentie trop confiante dans ce processus de tests nucléaires. “Parce qu’ils ont été surpris dans leur excès de confiance, ils n’ont plus réussi à faire marche arrière après coup.” Davantage de documents attendent d’être déclassifiés à leur tour. 
"Des Bombes en Polynésie" : un ouvrage pour raconter les essais nucléaires français dans l'archipel du Pacifique
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