D’ici 2023, l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) ou International Seabed Authority en anglais (ISA) devra définir les règles d’extraction des fonds miniers marins. Plus précisément, l’institution, qui compte 167 pays membres, va établir un code qui régira l’exploration et l’exploitation des ressources minérales des grands fonds marins situées dans « la Zone ». Quelle zone ? Les eaux internationales, celles qui s’étendent au-delà des espaces maritimes des pays sous juridictions nationales (aussi nommés ZEE ou Zone Économique Exclusive). Elles représentent 50% de l’ensemble des fonds marins et sont déjà lorgnées avec envie par une multitude d’acteurs.
250 zones exploitables 
Parmi les espaces régis par l’ISA, il existerait 250 zones maritimes exploitables sur la planète bleue, réparties entre l’Atlantique, le Pacifique et l’Océan Indien. 
La plus célèbre d’entre elles est la Zone de Clarion-Clipperton (ZCC ou Zone de fracture de Clipperton) située dans le Pacifique-est entre Hawaï et le Mexique, et déjà largement étudiée. D’une superficie comprise entre 4,5 millions de km2 (Wikipédia) et 9,5 millions de km2 (Les Echos), elle renfermerait plus de nickel, de cobalt et de manganèse que l’ensemble des ressources terrestres. 
Dans le Pacifique-sud, les îles Cook, les îles Kiribati et la Polynésie française, ainsi que le bassin central de l’Océan Indien, cristallisent déjà l’intérêt des exploitants. Dans le Pacifique-nord, les monts sous-marins de Magellan, à l’est du Japon, et ceux des îles Marianne, hébergeraient des encroûtements cobaltifères (voir plus bas) en grande quantité. 
Le massif Atlantis, au cœur de l’Atlantique Nord, et sa célèbre Cité Perdue (Lost City), font partie des régions disposant également d’un fort potentiel commercial pour les mineurs. 
En dehors des eaux internationales, certains pays ont déjà pris la décision d’exploiter les gisements métalliques de leur ZEE. 
Des gisements à faire pâlir 
Nickel, or, thallium, cobalt, manganèse, argent, lithium, cuivre, zinc, platine, antimoine et même des terres rares (comme l’yttrium, utilisé dans la fibre optique, ou le dysprosium, dans les aimants) seraient présents au fond des océans dans des quantités bien plus vastes qu’à la surface, et leur concentration y serait souvent bien plus élevée que dans les gisements terrestres. 
Les fonds marins regorgent de métaux et de minerais précieux indispensables au maintien de nos modes de vie actuels ainsi qu’à la fameuse transition énergétique. Utiles à la fabrication d’objets high-tech (téléphones, tablettes, écrans plats), de la fibre optique, des batteries, des véhicules électriques ou encore des éoliennes, ces métaux devraient, contre toute vraisemblance, faire l’objet d’une croissante demande au cours des prochaines années. Des minéraux uniques, comme les encroûtements ferro-manganésifères et les nodules polymétalliques (voir plus bas) s’y trouvent aussi à foison. 
Il existe 3 grands types de gisements métalliques marins intéressant particulièrement les Etats et les industriels : 
Si les nodules peuvent être ramassés ou grattés sur le sol océanique, les gisements de minéraux des sulfures et des encroûtements doivent être découpés ou cassés pour être détachés de leur support, et nécessitent donc des appareillages plus massifs. 
Déjà 22 pays en lice 
Dans les eaux internationales, l’ISA a conclu 30 contrats de prospection avec 22 pays (pour le moment) pour une surface d’environ 1,5 million de km2.
Dans les ZEE, les espaces maritimes nationaux, de nombreux travaux sont déjà en cours. 
Les plus observateurs d’entre vous noteront l’absence des Etats-Unis dans cette liste. En effet, la première puissance mondiale n’ayant pas ratifié l’UNCLOS (Convention des Nations unies sur le droit de la mer), elle n’est pas en mesure de parrainer des explorations minières dans les fonds marins internationaux. Mais UK Seabed Resources Limited (UKSRL) et  Seabed Resources Development Limited (SRDL), qui ont obtenu des contrats pour le Royaume-Uni, sont en fait toutes deux filiales à 100 % de l’américain Lockheed Martin.
Une multitude … ou une poignée de prestataires
Une multitude de groupes industriels et technologiques viendront soutenir les ambitions d’exploration des Etats et ainsi former un écosystème autour de cette industrie. (Liste non-exhaustive)
Ne vous y trompez pas. Si vous voyez une multitude de noms de sociétés, il semble qu’une seule poignée d’hommes soient en fait derrière l’ensemble des missions d’exploration de la planète. Par un jeu de filiale, de partenariats, d’échange de cadres dirigeants, de structures complexes et opaques de sous-traitants, un petit nombre de sociétés et un plus petit nombre encore de noms sont à la manœuvre pour exploiter la manne financière qui gît au fond des océans. 
Les consanguinités sont en effet nombreuses entre différents acteurs : The Metals Company avec NORI, TOML, MRE, Deepgreen & Nautilus Minerals ; Nautilus Minerals avec Deep sea mining et Lepidico Ltd ; Deepgreen avec Glencore et Allseas (ex-filiale de Petrobras), etc. Le chevauchement des cadres dirigeants et les croisements entre les sociétés, ainsi que l’omniprésence de Gerard Barron, le magnat canadien de l’exploration, dans l’écosystème, contribuent largement à opacifier le secteur. 
Quelle promesse de rentabilité ? 
Si la vente des métaux et minerais océaniques promet de rapporter des sommes considérables aux exploitants, l’extraction en elle-même n’est pas encore  une panacée. Les techniques sont balbutiantes et nécessitent des investissements massifs dans l’appareillage, qui mettent, pour le moment, en péril les désirs de rentabilité immédiate. 
L’ISA, qui régit les licences sans être un architecte de l’exploitation, devrait en revanche rapidement tirer profit des opérations : l’institution envisage de ponctionner une redevance ad valorem de 4 à 6% basée sur la valeur du minerai extrait, et se donne la possibilité d’augmenter cet écot au fil du temps. 
Les risques : accélérer la destruction du monde marin 
Comment clore ce dossier sans évoquer les nombreux risques induits par l’exploitation des grands fonds marins ? Je vous les jette ici pêle-mêle, de peur de m’y perdre. 
Emission de vapeurs toxiques par les navires, pollution sonore et lumineuse (qui peuvent affecter les créatures des eaux profondes habituées à de faibles niveaux de luminosité), destruction des habitats, de la structure géologique des fonds et des écosystèmes associés, diffusion et mise en suspension de nuages de sédiments et de particules (à même d’asphyxier la faune et la flore sur plusieurs kilomètres), modification de la composition chimique et acidification de l’eau (impact sur les communautés microbiennes et animales), transformation durable des sols océaniques, dissolution de métaux dans les eaux, augmentation de la teneur en carbone des océans, réduction de leur capacité à l’absorber, rejet des déchets en surface, effets à long terme sur la pêche, conséquences sur les équilibres des courants maritimes mondiaux, etc. 
Les effets à long terme sont désastreux. D’une part, parce que notre connaissance des écosystèmes vivant à proximité des cheminées hydrothermales est très limitée. D’autre part, parce ces écosystèmes sont d’une richesse remarquable et d’une grande variété, et que 85% des espèces y vivant sont endémiques, soit uniquement présentes dans ces zones. Enfin, parce que les zones exploitées seront très probablement détruites pour toujours : une expérience d’extraction de nodules menée en 1978 dans ZCC montrait des traces visibles 26 ans plus tard, et la faune chassée n’avait toujours pas recolonisé les lieux. 
Si l’ISA est peu loquace sur les risques environnementaux engendrés par cette industrie, c’est avant tout parce que sa position-même est source de conflit d’intérêt. L’institution revête en effet deux casquettes : celle de régir l’exploitation tout étant gage de la protection des fonds marins internationaux (rarement dans l’histoire procureur et avocat de la défense ont été à l’unisson !). « L’ISA n’a encore jamais rejeté une demande de licence, même dans des endroits aussi étonnants que la Cité perdue dans l’océan Atlantique », soulève avec pertinence l’association activiste Greenpeace. Etant donné la manne financière que l’ISA tirera des activités minières sous-marines, il y a peu à parier qu’elle se range du côté des détracteurs. 

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