Pour un peu, elle serait arrivée à « L’Équipe » avec ses huit planches sous le bras, tout particulièrement sélectionnées pour son trip de quatre mois à Tahiti. À peine descendue de l’avion qui l’amenait de Lisbonne, Justine Dupont a tout juste eu le temps de passer à son hôtel déposer son quiver (housse dans laquelle elle range toutes ses planches) qu’elle avait rendez-vous avec une poignée d’abonnés au 8e étage de notre bâtiment à Boulogne-Billancourt. Désormais connue dans le monde entier pour ses exploits notamment à Nazaré, où elle réside dorénavant, la surfeuse de gros était accompagnée de son compagnon, partenaire de jet-ski et ange gardien Fred David.
La première question, du Toulousain David, a logiquement porté sur son état de santé. La Canaulaise se remet d’une grave blessure à la cheville provoquée par une méchante chute à Nazaré début février lors de la compétition du Big Wave Tour. « Je vais bien, je suis de nouveau opérationnelle, répond d’entrée une Dupont soulagée et souriante. Je reviens après une pause forcée, j’en ai du coup profité pour prendre de la hauteur sur les choses, pour travailler plein d’aspects, comme le psychologique, le physique. Je n’ai raté qu’une houle à Nazaré, donc ça va je m’en sors bien. J’ai recouru il y a deux semaines et j’ai de nouveau pu surfer il y a dix jours. » Pour son retour à l’eau après quatre mois de rééducation, Fred l’a lancée sur une vague de cinq mètres. Un petit challenge vécu avec « une véritable joie d’enfant ».
Grand passionné de surf et pratiquant, Thomas voulait, lui, savoir pourquoi elle avait choisi de bifurquer vers les grosses vagues plutôt que de persévérer sur le plus médiatisé circuit pro de shortboard, qu’elle a fréquenté pendant une saison en 2012 – elle a terminé 17e mondiale. « Pendant cette année, je me suis blessée et je n’ai pas réussi à me maintenir. J’ai pas mal réfléchi et j’ai trouvé un aspect limitant à la compétition, presque négatif. Et, de plus en plus, j’avais envie de grosses vagues, d’émotions. Et je voulais partager ça avec une équipe autour de moi, être content pour l’autre, c’est comme ça qu’on se tire tous vers le haut. »
« Je me suis retrouvée sur une très grosse vague qui était sans doute au-dessus de mes capacités et là j’ai eu une petite émotion, comme une peur ou un refus de m’engager »
Ce qu’elle recherche aussi dans le surf de gros, elle avoue, c’est « la peur », la peur relative à ses débuts en surf à Lacanau avec son père et son frère. Cette peur qui, assure-t-elle, est « tout le temps-là ». Suspendu à son récit, l’auditoire tient absolument à savoir ce qu’elle ressent et à quoi elle pense quand elle est sur le point de lâcher la corde, tractée au sommet d’une montagne d’eau vertigineuse et « face à ce trou béant », dixit Thomas. « Habituellement, à cet instant précis, je n’ai pas d’émotion, je suis trop concentrée pour ça. Mais cet hiver à Nazaré, je me suis retrouvée sur une très grosse vague qui était sans doute au-dessus de mes capacités et là j’ai eu une petite émotion, comme une peur ou un refus de m’engager. Et puis il y avait du vent, je me suis envolée sans réussir à partir sur la vague. Tant mieux. Si j’ai eu une émotion, c’est parce que c’était trop limite. »
Pendant ces sessions XXL, Justine Dupont reste zen au possible. Ses angoisses se formalisent plutôt la veille, quand elle prépare ses affaires. C’est alors Fred David, avec qui elle vit dans une maison au milieu de la forêt à quelques kilomètres du spot, qui doit la canaliser. Sans compter, forcément, quelques nuits agitées. L’après-session est aussi une parenthèse à part, un moment de débrief où elle décortique à froid ce qu’elle fait, qu’elle prend vraiment conscience du danger. « Quand je revois les images, je me demande parfois pourquoi je fais ça. Je me fais peur, parfois. »
Début janvier à Nazaré, la Française a vécu une très grosse frayeur en se retrouvant prisonnière dans cette lessiveuse effrayante du spot de Praia do Norte, proche de la falaise, valdinguée par les flots démoniaques. Les jet-skis ont eu un mal fou à venir la récupérer. Son plus gros wipe out en six ans. « Ça fait partie du jeu, relativise-t-elle. Les chutes comme les blessures me permettent de mieux comprendre ce qui se passe, de me faire évoluer, je me remets toujours en question. » Une réflexion aigüe sur son sport et ses performances quand d’autres se pressent à Nazaré sans forcément ni la bonne préparation ni la connaissance du spot, simplement pour « faire un coup », selon Dupont, les médias et les réseaux sociaux poussant certains à dépasser des limites déraisonnables…
« Teahupoo, c’est un TGV. C’est la perfection, une beauté chirurgicale »
Lundi, l’intrépide surfeuse s’est envolée en direction de Tahiti, pour un deuxième chapitre après son inoubliable découverte de la Polynésie française l’an passé. Elle est partie pour quatre mois et cette année, contrairement à l’an dernier où elle avait découvert plusieurs îles et surfé différentes vagues, elle a l’intention de rester immergée à Teahupoo pour tenter de dompter au mieux ce monstre sacré qui sévit au large de la route du bout du monde. « J’ai vraiment envie de performer sur cette vague, de la masteriser à mon niveau. Et pour ça, contrairement à l’année dernière, je vais rester sur place. Je vais manger du Teahupoo tous les jours. J’ai l’habitude de surfer à l’instinct alors que Teahupoo c’est une vraie réflexion car la vague est tellement technique, puissante et creuse. C’est un TGV. C’est la perfection, une beauté chirurgicale contrairement à Nazaré qui est une beauté brute. C’est excitant de surfer une telle vague de récif. »
Dans le money time, après une heure intense d’échange, le panel d’abonnés est loin d’avoir épuisé son lot de questions. Philippe est curieux de savoir quelle préparation physique la surfeuse met en place avant chaque saison hivernale pour celle qui a eu l’habitude de pratiquer la natation, l’apnée et le running. « Avant l’hiver, il faut une base de foncier mais il ne faut pas non plus trop pousser pour éviter de se carboniser et de se blesser. » À Tahiti, Dupont va spécifiquement travailler le renforcement musculaire de ses jambes en faisant du foil et wingfoil. Un joli programme, pour le moins ludique et fun.