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EN IMAGES – Au bout du monde, à la pointe de l’Extrême-Orient russe, une terre sauvage sursaute au rythme des volcans, respire au souffle des geysers. Ses ours y pêchent les saumons qui, par millions, remontent les rivières. Survol du Kamtchaka et des ses beautés du diable.
Enorme libellule aux antennes légèrement fléchies, notre hélicoptère d’un orange rutilant attend le signal du départ. Nous grimpons dans l’un de ces MI-8 hérités de l’armée russe et utilisés aujourd’hui par des compagnies privées. Le temps n’est franchement pas encourageant. Tatiana, notre guide, nous a pourtant bien dit de faire confiance au pilote. L’hélicoptère s’élève dans un bruit assourdissant. A l’extérieur, rien à voir ; la visibilité ne dépasse pas 20 mètres. A l’intérieur, personne ne dit mot ; le bruit est trop fort. L’hélicoptère continue son ascension dans une ouate épaisse. Soudain, une lumière brutale, aveuglante envahit l’habitacle. Des nuages plus aucune trace. Le pilote avait raison!
Un dôme de lave pétrifiée, craquelée, fumante se dresse sous nos yeux. L’ombre de l’hélicoptère glisse sur la mer de nuages d’où émergent les versants sombres et raides du cône volcanique, le Kizimen! De son cratère chaotique se dressent des aiguilles de lave d’une bonne soixantaine de mètres de hauteur. L’épais panache brun et bleuté témoigne de son activité. Difficile, alors que l’hélice en caresse la silhouette, d’oublier que le Kizimen est l’un des nombreux volcans en éruption permanente du Kamtchatka. Derrière lui apparaît une enfilade de pics, de versants noirs de cendres et de sommets blancs de neige, tous surgis de la ouate épaisse. Les plus grands et les plus beaux des volcans de l’Extrême-Orient russe s’alignent ici dans la limpidité froide et parfaite de l’altitude. Voici le Gamchen, le Vysoky dominés par les 3 528 mètres du Kronotski, véritable image d’Epinal du volcan. Dans l’hélicoptère, c’est l’excitation. On s’attroupe aux hublots, on s’interpelle, on zigzague d’un côté à l’autre. L’altimètre affiche 4 000 mètres, quand, toujours plus hauts, surgissent le Kamen reconnaissable à son versant pris dans la glace, le Bezymianny et son dôme en reconstruction, l’Ushkovsky, le Krestovsky… Et le Klioutchevskoï enfin, couvert de neige et de glace, dominant l’ensemble de ses 4 750 mètres. Le plus haut volcan d’Eurasie, le plus imposant et le plus actif de la péninsule russe déverse chaque année d’importantes quantités de lave. Le fin tracé de fumée qui s’en dégage devient, en s’approchant, un panache de cendres expulsé d’une dépression béante. Malgré le froid assassin qui s’engouffre par les hublots grands ouverts, et la lumière étincelante, nous ne pouvons détacher le regard de ces géants alignés de part et d’autre de «l’allée des volcans».
La péninsule du Kamtchatka, longue de 1 250 km – sa surface représente environ les trois quarts de la France -, s’avance sur l’océan Pacifique à l’extrême est de la Russie. Ici s’achève la ceinture de feu, dont elle est l’un des maillons les plus chauds. Si l’activité volcanique est plus intense que partout ailleurs, c’est qu’elle se situe à l’endroit même où la plaque continentale du Pacifique s’enfonce sous la plaque asiatique, au rythme effréné de 10 cm par an, générant séismes et violentes éruptions. On a dénombré au moins 220 volcans pour le Kamtchatka, guère plus éloignés de 25 à 30 km les uns des autres, et répartis de part et d’autre d’un fossé central, le long de deux chaînes montagneuses, l’une dite «centrale» et l’autre parallèle à la côte, ou «orientale». Parmi eux, 30 entrent régulièrement en éruption et 3 à 5 s’activent en même temps. Nous nous éloignons à regret de la majestueuse allée. Les nuages se sont dilués. La journée s’annonce magnifique. Au fond de la vallée centrale, le fleuve Kamtchatka, en circonvolutions tortueuses, peine à poursuivre sa course, freiné par les coulées de cendres et de boues descendues des puissants volcans. Direction la petite bourgade d’Esso. Notre monstre de fer doit refaire le plein. Nous aussi. Nous nous gavons de caviar rouge – œufs de saumon – et de saumon fumé avant de regrimper dans notre autobus des airs spécialement affrété pour notre petit groupe. Cap à l’est. Les montagnes cèdent le terrain aux plaines sillonnées de rivières échevelées, la toundra d’altitude aux forêts de trembles et de bouleaux blancs. Ni trace ni piste. L’unique route qui dessert le Kamtchatka du sud au nord est loin. La nature est omniprésente, vierge, sauvage.
Emoussés par le temps, d’anciens volcans coiffés d’une végétation rase font leur apparition. Au détour d’une vallée, trois tentes minuscules. Une famille évène vit ici avec son troupeau de rennes et ses chiens. Comme les éleveurs koriaks, les pêcheurs-cueilleurs itelmènes, les Evènes sillonnaient autrefois le Kamtchatka au rythme des saisons, bien avant sa découverte par les premiers Russes. Nous sommes les bienvenus à passer un peu de temps avec eux. Les hommes sont partis chercher le troupeau dispersé dans les montagnes. Autour des tentes, une femme, la peau parcheminée tirée sur de hautes pommettes, s’affaire près des séchoirs regorgeant de poissons. La famille restera ici jusqu’à la fin de l’été. Quand le froid se fera plus piquant, et que la toundra s’enflammera aux couleurs de l’automne, hommes et rennes regagneront les vallées. Si l’enseignement de la langue évène dans les écoles supérieures, relayée par les médias, annonce un regain de leur culture, il fut des temps plus sombres. C’est d’une forteresse établie par des corsaires sur le rivage nord de la Russie que Vladimir Atlasov est parti en 1697 pour faire marche sur cette terre du bout du monde. L’annexion du Kamtchatka à l’Empire russe, synonyme pour certains de la «libre démonstration de l’esprit fraternel des Grands-Russiens» s’est aussi traduite par l’assujettissement des peuples autochtones. Sédentarisation forcée et élimination des populations ont eu raison de leur effectif, passé de 20 000 à moins de 3 200 dans les années 1800.
Tatiana nous annonce une fenêtre de beau temps. Cela ne durera sans doute pas. Ici, le temps est imprévisible. La faute à l’influence marine qui imprègne la péninsule et la nourrit de brouillards épais. Mais nous fonçons regagner nos places dans le MI-8. Bruyant, froid parfois, il est pourtant devenu au fil des jours notre bus 5 étoiles. C’est un véritable luxe de pouvoir survoler tous les jours la sauvagerie de la péninsule russe. La trame chaotique de Petropavlovsk-kamtchatski, lovée au pied des volcans Koriaksky et Kozelsky, s’amenuise, quand la baie d’Avacha, «la plus belle du monde» selon La Pérouse, se déploie, immense et bleue. Un peu avant que le marin français n’y croise, le capitaine danois Vitus Béring s’était vu confier par le tsar Pierre Ier la première expédition au Kamtchtaka. Objectif? Découvrir si l’Asie était reliée ou non au nord de l’Amérique. En 1740, Vitus Béring ancre ses bateaux dans un port naturel magnifique, ouvert sur 3 km de large, mais parfaitement protégé: il lui donne le nom de ses deux bateaux le Saint-Pierre et le Saint-Paul, Petropavlovsk.
L’imposante base de sous-marins nucléaires soviétiques, «le nid de guêpes» du Pentagone, érigée face à l’Alaska pendant la guerre froide, a perdu de sa superbe. Les flottilles qui mouillaient dans la baie ont été démantelées et rouillent au fond de l’eau. Aucun étranger n’eut le droit, pendant toute la durée de la guerre froide, de pénétrer au Kamtchatka et les citoyens soviétiques eux-mêmes devaient présenter une autorisation spéciale. L’isolement dans lequel fut plongée jusqu’en 1990 la lointaine péninsule, n’a fait que renforcer son caractère vierge.
Impossible de manquer la caldeira d’Uzon. Cette dépression de 12 km de long sur 9 de large, résultat de l’effondrement d’une chambre magmatique, imprime le relief. Uzon est, après le Yellowstone, le deuxième bassin hydrothermal pour le nombre et la diversité de ses manifestations. Des bassins multicolores ponctuent la végétation exubérante, les mousses fluorescentes et la toundra colorée. S’en échappent fumerolles et vapeurs. Sergueï, garde de la réserve de la biosphère du Kronotski, nous attend, fusil à la main. Impossible de se disperser où bon nous semble: des plantigrades se prélassent, dit-il, au bord de sources d’eau chaude juste à côté. Pas question de prendre Sergueï à la légère: Vitaly Aleksandrovich Nykolayenko, ancien garde de la réserve et éthologue autodidacte, après avoir passé trente-trois ans à étudier au plus près le comportement des ours, a fini ici même sous les crocs de l’un d’eux en 2003. Nous déambulons donc sous bonne garde au milieu de ces vasques où l’eau chauffée par les entrailles brûlantes du volcan fait bouillonner une pâte onctueuse et bleutée à grands coups de succions et de clapotis. Des forêts de bouleaux ivres, le tronc tordu par les chutes de neige successives, dansent sur les flancs de ces marmites.
Le ciel happe de nouveau notre gros insecte et le redépose à une vingtaine de kilomètres à peine, de l’autre côté de la réserve, dans la vallée des Geysers. Au fond de ce canyon serpentent les eaux chaudes de la rivière Geysermaïa. Bolchoï, «le grand», Krépost «la forteresse», Vélikane, «le géant», Jemtchoujny, «le nacré»… Trente geysers animent les berges de la rivière laiteuse projetant panaches de vapeur et jets brûlants à plusieurs mètres de hauteur. Des mares de boues rouges, ocre ou vertes se concentrent sur une terrasse dominant la rive gauche de la rivière. Plus loin, Vrata Ada, «la porte de l’enfer» s’ouvre sur des fosses d’où s’échappent vapeurs et soupirs. L’humidité profite aux bouleaux d’Hermann. Elle se dépose le soir venu en brume fantomatique entre leurs troncs énormes. Du roi du Kamtchatka (l’ours brun), dont la région compte entre 13 000 et 16 000 individus, nous n’apercevrons finalement que la silhouette furtive à travers les hautes herbes. Une déception de courte durée car dès le lendemain nous serons largement comblés…
Nous prenons plein sud cette fois, vers la pointe effilée de la péninsule qui s’avance entre océan Pacifique et mer d’Okhotsk, pour rejoindre un lac de cratère alimenté par la fonte des glaces et d’innombrables rivières. Le lac Kourile, au sein du parc national du sud du Kamtchatka, est le plus important site de reproduction du saumon d’Eurasie. Au fil des mois, rouge, chinook, coho, rose, keta et chum vont et viennent de l’océan aux torrents. Au terme de leur remontée, voici les eaux calmes du lac Kourile où ils viennent frayer en nombre. Kourile est le seul site au Kamtchatka où l’observation de l’ours est vraiment garantie. Entre 200 et 300 individus s’y concentrent. La vie au bord du lac y est si facile: saumon à volonté! Les ours ont trop à faire pour s’occuper de nos bateaux. De l’eau jusqu’au poitrail, il leur suffit de plonger la tête et de happer, d’un coup de patte, les proies fatiguées par la migration et la fraie. La gueule arrache la tête, les griffesdétachent la chair délicate des filets. Une fois sur la berge, encadrés par deux gardes armés, nous nous rendons sur la passerelle de bois construite pour le comptage des saumons. De jeunes ours de l’année, en jeux innocents, miment combats et premières pêches, se poursuivent pour se voler un morceau de saumon. Solitaires, les grands mâles restent en retrait de l’effervescence. Gavés de protéines et de graisse, les ours pêcheurs du Kamtchatka, tout comme leurs voisins d’Alaska, sont d’une taille bien supérieure à ceux qui errent dans la toundra à la recherche de baies et de petits mammifères.
Retour à Petropavlovsk-Kamtchatski. Engourdis par l’air frais, l’altitude, la sauvagerie des espaces, nous avons du mal à reprendre pied sur l’asphalte de la petite capitale assoupie contre le Pacifique. Au bord de l’eau, un pygargue au bec puissant déchiquette un poisson prisonnier de ses serres, puis s’envole. Ses ailes puissantes le portent vers le volcan Avacha et plus loin encore, vers les beautés du diable.
L’ambassade de Russie (01.45.04.05.01 ; http://ambassade-de-russie.fr) gère les services consulaires et l’office de tourisme. Un visa est obligatoire et s’obtient avec une lettre d’invitation du réceptif local. Meilleure saison: de juin à septembre, pour bénéficier de températures plus clémentes. Bien qu’à la même latitude que le Royaume-Uni, certaines zones restent parfois très enneigées jusqu’au mois de juillet.
Guides: Russia, Lonely Planet (avril 2012, en anglais). Sibérie, Petit Futé (juin 2014).
Avec Aeroflot (0805.98.00.10 ; www.aeroflot.ru/ru-fr). Vol quotidien Paris-Petropavlovsk-Kamtchatski avec une escale à Moscou et stop obligatoire à l’aller. Aller-retour en classe Eco à partir de 650 €.
Avec Equinoxe (00.41.21.671.60.00 ; www.equinoxe.ch). Ce créateur de voyages suisse à taille humaine propose un séjour exclusif de 13 jours, en mini-groupe (10 personnes maximum), du 18 au 30 septembre 2016. Hébergements en hôtels. Dans ce séjour, l’hélicoptère, seul moyen d’aller à la rencontre du peuple évène, est de mise. Il sera affrété uniquement pour le groupe et pour 13 h de vol! Rare pour cette destination. 14 000 € par personne.
A Paratunka, (20 min en voiture de Petropavlovsk), le Bel-Kam tour Hotel (00.7.415.24.317.28 ; www.kamchatintour.ru). Quatre étoiles pour cet hôtel au charme désuet, et aux bains chauds en extérieur ouverts 24 h/24 h. Situé au sein de la petite station thermale de Paratunka. Chambre double à partir de 80 €. Russo-Balt North Adventures (00.7.415.31.711.18 ; severotel@yandex.ru). Ce balné-écolodge tout de bois, de pierre et de verre devrait plaire au public européen. 7 maisons de bois disséminées au milieu des arbres. 2 chambres chacune, terrasse de bois et bain chaud. L’eau thermale est bien sûr d’origine volcanique, ainsi que la vapeur du sauna. Le restaurant est excellent. A partir de 415 €.
A Petropavlovsk, au 84 Leningradskaya st., le Café Grill Ugli (00.7.963.832.0323). Délice de la viande, pour changer du poisson omniprésent, cadre chaleureux et convivial. A partir de 18 €.
Et aussi: une visite au marché au crabe et au saumon. C’étaient, il n’y a pas si longtemps, les seuls marchés locaux de Petropavlovsk avant que ne s’ouvrent des centres commerciaux. Frais, fumé, entier, au détail, en boîte, sous vide, le saumon et ses œufs couvrent des étalages entiers.
L’«or rouge» est l’un des piliers économiques de la péninsule. Affables et très commerçants, les vendeurs se font un plaisir de vous faire goûter toutes les saveurs, saumures et type de séchage ou de fumage. C’est aussi l’antre du célèbre crabe que l’on peut acheter encore vivant, entier ou en boîte, du flétan, code, et autres espèces peuplant les eaux du Pacifique nord. Saumon à partir de 10 € le kilo. Compter 25 € le kilo de crabe.
Se baigner dans les sources chaudes, nombreuses à travers la péninsule comme à Tumrok ou dans le parc naturel Nalytchevo: selon la légende, un homme qui s’y plonge aux premiers rayons du soleil gagne beauté, santé et jeunesse éternelle! Situé à 60 km de Petropavlovsk, sur la côte Est du Kamtchatka, dans la chaîne volcanique orientale, le parc naturel de Nalytchevo, l’un des six sites répertoriés au patrimoine mondial de l’Unesco, n’est, une fois encore, accessible que par hélicoptère. A l’atterrisage, les gardes du parc accompagnent les visiteurs. Les sources, toutes situées dans le bassin de la rivière Nalytcheva, ont été aménagées. Leurs eaux sont reconnues pour leurs propriétés médicinales, capables de traiter le système cardio-vasculaire, et de prévenir les maladies de peau, les troubles métaboliques, et l’anémie.
Pour la randonnée dans le cratère du Moutnovski. De loin, il ressemble à une forteresse. Accès en 4 x 4 sur une piste plutôt acrobatique: une aventure en soi dans un paysage lunaire! La marche d’accès est aisée. Il suffit d’emprunter le vallon de Vulcannaya, un goulet par lequel s’ouvre le cratère pour pénétrer dans les entrailles de la Terre: glaciers poudrés de cendres, collines de rhyolithes colorées éventrées par des sources chaudes, des fumerolles, des marmites de boue en ébullition. Sensations fortes dans l’antre d’un volcan.
Difficile de voyager seul et d’organiser soi-même ses réservations depuis la France: peu ou pas d’information sur les hôtels, les restaurants et les sites internet sont le plus souvent en russe…
Kamtchatka, au paradis des ours et des volcans, de Julie Boch et Emeric Fisset (Editions Transboréal). Kamtchatka, la terre des origines, de Yves Paccalet (JC Lattès). Terre des ours, film de Guillaume Vincent (Les films en vrac).
BODHI
le
Magnifique Kamtchaka ou l’illustration de la cosmogonie …
Bardamu & Co
le
Très bel article. Bravo.
xy001
le
J’i vu les photos sur le fig mag, elles sont sublimes, pays extraordinaire
D’est en ouest, du Pays basque à la Catalogne, les Pyrénées sont parsemés de gorges et de canyons, à explorer à pied, en canoë ou vêtu d’une combinaison en Néoprène.
Le service ferroviaire est suspendu en raison des troubles dans le pays. Certains aéroports sont également fermés. Alors que le mouvement de contestation s’aggrave, France Diplomatie recommande aux Français de reporter leur voyage.
Une grotte aux dimensions spectaculaires, une cascade pétrifiante, un lac émeraude, des parois vertigineuses et un sommet mythique qui tutoie les 3 000 mètres d’altitude… En marche vers l’Ariège !
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Kamtchatka, la péninsule aux deux cents volcans
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