, par Valentin Dantec
Alors que la question de l’indépendance s’est posée à nouveau en Nouvelle-Calédonie et que les récents troubles ont secoué la Guadeloupe et la Martinique, certains se posent la question de la place des Outre-mer au sein de la République française. Mais qu’en est-il de leur place au sein de l’Union Européenne, alors même que certains candidats en France remettent en question le rôle de la métropole dans l’UE ?
La France n’est pas le seul état membre de l’UE à posséder des territoires ultramarins, mais il est celui en possédant le plus. Avec 11 territoires, elle devance les Pays-Bas (4), le Portugal (2), l’Espagne et le Danemark (1 chacun). Les relations que chaque territoire entretient avec sa métropole sont diverses et leur place au sein de l’Europe l’est également. En tant que citoyens européens, tous les territoires élisent des représentants au Parlement européen (excepté le Groenland), même si le droit européen ne s’applique pas forcément sur certaines îles. Mais se sentent-ils Européens ?
Le premier obstacle à une véritable identité Européenne est la distance. Cette distance engendre déjà dans les Outre-mer français des différents et une certaine incompréhension vis-à-vis de l’Hexagone. Alors l’Europe et ses problématiques continentales sont des concepts très lointains, comme un fait qui serait rappelé par certains moments lors d’une énième affaire mentionnée sur les chaines d’information. Que signifie pour un Guyanais les tensions entre l’UE et son voisin Biélorusse ? Ou bien le combat sans merci entre la Commission européenne et le Gouvernement polonais au sujet de la justice, alors que le taux de chômage à Mayotte atteint presque un tiers de la population active ? Les territoires ultramarins sont par définition si éloignés du vieux continent qu’il est aisément compréhensible que les préoccupations en Europe ne soient pas les leurs.
En plus de la distance, beaucoup s’identifient en fonction de leur territoire ou de leur zone géographique. Une personne ayant vécu une majeure partie de sa vie en Polynésie française aura potentiellement plus tendance à s’afficher comme Polynésien avant d’être Français, alors ne mentionnons même pas l’Europe. Ceci est également fortement marqué dans les Antilles, où les mouvements de populations entre les différentes îles ont créé de forts liens, générant une sorte d’identité Caribéenne commune autour de laquelle peuvent facilement se retrouver les citoyens européens y ayant toujours vécu. Cette identité locale est d’autant plus marquée par la culture bien distincte de leur métropole. C’est ainsi que le zouk, le calypso ou le ragga sont des expressions artistiques étant le résultat d’un métissage culturel bien caribéen, qui contribue à forger cette identité, qui partage finalement assez peu avec une éventuelle identité européenne.
Enfin, en plus de l’aspect local et culturel, l’application du droit européen est plus laxiste que sur le continent, voire quasi inexistant. L’existence de deux catégories, les RUP (Régions Ultra Périphériques) et les PTOM (Pays et Territoires d’Outre-Mer) montrent différents degrés d’appartenance légale à l’UE. Alors que les RUP font officiellement partie de l’UE, les PTOM eux ne le sont pas. La non-appartenance à l’UE des PTOM ne les empêche pourtant pas d’être citoyens Européens – car citoyens de leur métropole – et même de voter pour le Parlement européen. C’est ainsi que Saint-Pierre-et-Miquelon ou Curaçao, par exemple, choisissent un représentant au Parlement européen qui votera des lois qui ne s’appliqueront pas à ces îles. Saint-Barthélemy (PTOM) ne fait pas partie de Schengen ni de l’espace TVA, mais fait bel et bien partie de la zone Euro, au contraire de Saba (PTOM, Pays-Bas) qui a préféré l’utilisation du Dollar américain. Saint-Barthélemy (PTOM), Saint-Martin (RUP) et Sint-Maarten (PTOM, Pays-Bas) ont tous les trois des différences énormes sur leur rapport à l’Europe, malgré le fait d’être séparé par seulement 20km de mer, voire une simple frontière terrestre. Ces spécificités légales qui varient selon les îles malgré leur proximité font de l’Europe un concept éloigné, pas forcément attrayant pour s’en revendiquer en tant que citoyen.
Mais ces différences ont-elles réellement tant d’impact ? On pourrait décrire l’UE de la même façon : Schengen ou la zone Euro ne s’étendent pas à toute l’Union, le Danemark possède ses spécificités légales bien à lui, les problèmes de Bruxelles peuvent parfois paraître bien éloignés des problèmes locaux, et oser dire que les états membres ne sont pas divers culturellement parlant serait d’une ignorance sans frontières – jeu de mot totalement voulu. Et ce qui unit les peuples du continent comme ce qui unit les peuples ultramarins de l’Europe, c’est en partie les valeurs communes qui animent. La liberté de la presse, les droits de l’Homme, la démocratie, tous ces aspects qui semblent si évidents et qui nous rassemblent et nous animent. Mais ça a une certaine limite, car ces valeurs sont partagées avec beaucoup d’autres territoires autour du monde, et limiter l’identité européenne à ces seules valeurs serait illogique. Si ce n’était que ça, l’UE pourrait offrir le statut de PTOM, voire pourquoi pas d’état membre à la Californie ou à l’Australie. Cette dernière ne participe-t-elle pas déjà à l’Eurovision ?
Non, ce qui renforce l’identité européenne, c’est également la présence de symboles. Les symboles jouent un rôle majeur dans l’identité d’une personne, plus qu’on ne pourrait l’imaginer. Nombreux sont ceux à se dépêcher de sortir leurs drapeaux lors de compétitions sportives, que ce soit le drapeau d’un club sportif, régional ou national. Il suffisait de compter les drapeaux français dans les rues des Outre-mer français lors de la finale de la Coupe du Monde en 2018. Il n’y a pas (encore ?) de manifestation sportive représentant l’Union Européenne elle-même, mais ses symboles sont partout. De nombreux fonds européens de développement sont destinés aux territoires ultramarins, y compris aux PTOM qui sont pourtant hors de l’UE sur le papier. Tous les projets financés sont flanqués d’un drapeau européen, qui se trouve également à côté du drapeau national à chaque bâtiment officiel. La monnaie également, qui est un symbole de tous les jours, en est une composante. Or tous les territoires ultramarins français, hors ceux présent dans le Pacifique, utilisent l’Euro, y compris Saint-Pierre-et-Miquelon qui serait probablement excusé de préférer le Dollar canadien, voire même américain.
En plus des symboles, il y a l’Histoire de ces îles qui influence largement leur appartenance à l’Europe. La plupart sont le fruit d’un métissage entre les différentes populations européennes et descendantes d’esclaves qui s’étaient installés sur l’île lors de la période de la colonisation. Certaines îles ont même une démographie quasiment exclusivement européenne comme Saint-Barthélemy ou Saint-Pierre-et-Miquelon, du fait de leur géographie peu propice au développement de cultures où les esclaves étaient forcés de travailler. Le métissage des populations, les mouvements migratoires entre les îles elles-mêmes ou le continent, sont autant d’autres liens historiques et culturels entre les territoires ultramarins et l’Europe, pour le meilleur ou pour le pire.
Ou peut-être qu’au lieu de chercher des raisons profondes au sentiment de chacun, le lien le plus fort entre ces territoires ultramarins et l’Europe est purement stratégique. Les RUP tout comme les PTOM ont statut de pleine citoyenneté avec tous les droits de votes qui y sont rattachés, ce qui n’est par exemple pas le cas de Puerto Rico, associé aux Etats-Unis. De plus, la citoyenneté Européenne offre un avantage considérable sur la scène internationale, grâce à ce passeport rouge bordeaux. Scène internationale dont ces territoires ont choisi d’en éviter les affres lorsque l’indépendance leur fut proposée dans le cadre du processus de décolonisation.
Enfin, être au sein, au tout du moins associé à l’Europe, est d’un grand avantage économique et politique. De nombreuses dérogations sont accordées à l’application des lois européennes aux RUP, voire quasiment peu de lois sont appliquées aux PTOM, et pourtant ces territoires sont pleinement éligibles à recevoir les fonds européens. Les 6 RUP françaises reçoivent par exemple 20% de tous les fonds destinés à la France, malgré le fait de ne représenter qu’environ 3% de la population française. L’UE finance massivement toutes sortes d’infrastructures (en particulier les routes) et la culture (surtout la canne à sucre, qui survit notamment grâce à la Politique Agricole Commune). Et chacun de ces territoires possède une marge de manœuvre énorme dont en rêvent les territoires de taille similaire en Europe continentale. Seule la pêche, il est vrai, souffre plus des politiques européennes qu’elle n’en gagne.
Et les Outre-mer peuvent unilatéralement décider quand passer de RUP à PTOM ou l’inverse, ce fut notamment le cas de Mayotte qui décida de se convertir en RUP voyant ses fonds européens multipliés par 20, alors que Saint-Barthélemy choisit le chemin inverse vers le statut de PTOM. Ces choix ont été fait principalement en fonction de leur contexte économique, qui dicte ainsi leur sentiment de proximité avec l’Europe.
La réponse à la question originale est évidemment difficile à cerner, tant le concept d’identité même peut être difficile à définir, en particulier celui de l’identité européenne. Si loin géographiquement et pourtant si près culturellement, historiquement et économiquement, les citoyens ultramarins sont aujourd’hui bel et bien Européens. Peut-être que la question d’appartenance à l’Europe, voire à un quelconque pays, est telle un mariage. Lorsque le contrat, la relation est basée sur la confiance et l’entraide, ça ne peut que fonctionner. C’est un élément crucial à prendre en compte lors des prises de décisions, que ce soit localement, dans les parlements nationaux ou celui européen. Faisons durer ce beau mariage.
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