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DÉCRYPTAGE – Imaginer pallier la pollution d’un vol Paris-New-York, émettant plus de 2 tonnes de CO², en plantant des arbres, c’est ce que proposent aujourd’hui compagnies aériennes et opérateurs privés. Mais cocher cette case a-t-il seulement un sens ? Notre éclairage, à quelques semaines des vacances de Noël.
Compenser son empreinte carbone avant ou après un trajet en avion : c’est le réflexe de certains voyageurs, qui culpabilisent face à l’urgence climatique. Soucieux de leur impact, dès la réservation de leur billet, ils cochent la petite case leur garantissant de pallier les émissions de CO² de leur vol. D’autres se tournent vers des organismes privés ou des ONG qui proposent le même service, imaginant que cela va rattraper les dégâts causés par leur vol… Mais cela a-t-il vraiment un impact bénéfique sur notre planète ou le fait-on purement pour se donner bonne conscience ?
La question divise. Alain Karsenty, socio-économiste au Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement), est catégorique : compenser est «impossible», d’abord en raison de la nature même des projets proposés : en général planter des arbres, participer à la «reforestation». Il dénonce un décalage temporel entre les émissions immédiates – que le voyageur émet à un instant T, durant son vol – et le temps nécessaire pour que les forêts tout juste plantées absorbent réellement ce carbone. «Le temps de planter puis que les arbres poussent, cela peut prendre un an, dix ans ou cent ans.».
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Le carbone stocké dans les arbres doit le rester pendant des siècles pour espérer neutraliser les émissions. Or, comment avoir la certitude que ces forêts seront encore sur pied dans un an, dans dix ans, vingt ans ou même cinquante ans ?
Certaines structures privilégient donc des arbres à croissance rapide comme des pins, des acacias, des eucalyptus. «Planter une seule variété peut accélérer le rythme de stockage, mais cela se fait aux dépens de la biodiversité. De plus cela risque d’accroître la vulnérabilité de la forêt plantée (feu, parasites ou autres agents pathogènes)». Et ce n’est même pas, selon lui, le principal problème. «Le carbone stocké dans les arbres doit le rester pendant des siècles pour espérer neutraliser les émissions. Or, comment avoir la certitude que ces forêts seront encore sur pied dans un an, dans dix ans, vingt ans ou même cinquante ans ?». Pour rappel, cet été, rien qu’en Europe, plus de 660.000 hectares de forêt ont brûlé.
Une des solutions avancées par Jean-François Rial, PDG de Voyageurs du Monde, l’une des agences qui propose à ses clients de compenser leur empreinte carbone, est de planter plus que nécessaire. «Chez nous, c’est cinq fois plus qu’il ne faudrait par voyageur. Si bien que tant qu’on ne perd pas 20 % de nos plantations, on reste dans les clous. Et nous envisageons encore d’augmenter ce chiffre dans les années à venir». Le voyagiste se targue également de faire ce qu’on appelle de la «compensation additionnelle», c’est-à-dire de réaliser des projets qui n’auraient jamais vu le jour sinon. Cela vous semble logique ? Ce n’est pourtant pas systématique. «La majorité des crédits carbone forestiers viennent de ce qu’on appelle des “projets d’évitement” : des programmes non de reforestation mais qui ont simplement pour but d’éviter la déforestation», poursuit Alain Karsenty. «Or, très souvent, la prévision de la déforestation qui adviendrait sans le projet est exagérément élevée, ce qui permet ensuite de prétendre avoir évité le pire… Par rapport à la prévision».
Le même mécanisme serait en œuvre pour d’autres programmes de compensation carbone comme la construction d’éoliennes. «C’est le cas de 52% des projets en Inde par exemple», décrit le scientifique, s’appuyant sur un travail du Centre for Climate Change Economics and Policy (CCCEP) qui date de novembre 2021. «Ils ont été financés via ce mécanisme alors que les entrepreneurs indiens prévoyaient de toute façon de développer ces parcs, avec ou sans ces fonds». Un «effet d’aubaine massif», en bref.
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Chez Air France comme chez Greentripper, entreprise spécialisée dans le calcul puis la compensation carbone des voyages, on s’en remet donc aux labels. Les projets choisis portent tous le sceau Gold Standard, reconnu comme la certification internationale la plus sûre en termes de compensation carbone. «Ils répondent à un cahier des charges précis. En plus de la compensation CO2e (émissions en équivalent CO² évitées, séquestrées ou réduites, NDLR), nous nous assurons qu’ils répondent à au moins trois des 17 objectifs de développement durable établis par l’ONU», indique la directrice de Greentripper.
Pas de quoi convaincre Alain Karsenty. «Certains projets sont de qualité et apportent des activités et revenus bienvenus aux populations locales. Mais ce n’est pas le cas de tous. De plus, le problème de tous les acteurs de cette chaîne, jusqu’à l’acheteur final, c’est qu’ils ont intérêt à ce qu’elle fonctionne et que personne ne mette en doute l’intégrité de leurs crédits carbone (unité de mesure équivalant à une tonne de CO2 évitée ou séquestrée, NDLR)». En clair, le scientifique reproche à ces organismes de gagner leur vie via ce «business». «Les entreprises sont trop heureuses de trouver des crédits à bon compte, sans se poser de questions», selon lui.
C’est d’ailleurs ce qui a été reproché à Air France, qui proposait encore il y a quelques jours à ses clients de souscrire à une option «environnement» pour compenser l’empreinte carbone d’un vol. Du pur «greenwashing» selon plusieurs associations qui se sont réunies dans une tribune publiée sur Reporterre. Leur pétition a recueilli près de 8000 signatures. Air France est accusé d’induire les voyageurs en erreur, de leur laisser croire qu’ils peuvent «prendre l’avion sans émettre de CO2, en payant une simple option».
Compenser, c’est annuler ! Or ici, on n’annule rien du tout
C’est aussi ce que dénonce Lucas Scaltritti, journaliste derrière le podcast Super Green Me. «Là, ce qu’on propose au consommateur, c’est un droit de polluer en échange d’une compensation pécuniaire» critique Lucas Scaltritti, journaliste derrière le podcast Super Green Me. Participer, financer des projets de reforestation, oui. Mais pas dans le but de «compenser» son empreinte carbone. Sémantiquement déjà, il soulève un problème. «Compenser, c’est annuler ! Or ici, on n’annule rien du tout», s’exclame-t-il. «On peut à la rigueur parler de contribution». De même pour l’expression «neutralité carbone», qui induit le consommateur en erreur. Chez Greentripper, qui vend des crédits carbone à des particuliers, «on propose la compensation en dernier recours». D’abord on réduit, ensuite on compense. «On peut choisir le train plutôt que l’avion par exemple puis on compense les émissions résiduelles de son trajet en train», expose sa PDG qui collabore avec l’agence d’aventures ferroviaires Railtrip.Travel qui ne propose que des voyages en train et qui inclut la compensation CO2e dans ses voyages.
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Mais alors, la bonne solution, c’est quoi ? «Réduire ses voyages en avion, point», poursuit Lucas Scaltritti. «Si l’on veut respecter nos ambitions climatiques de ne pas dépasser individuellement 2 tonnes de CO² par an, nous devons diviser notre mode de vie par cinq, donc supprimer l’avion», qui est le moyen de transport le plus polluant du monde à en croire l’Agence européenne de l’environnement (AEE). Selon ses chiffres, un passager en avion émet 285 grammes de CO² par kilomètre, contre 158 en voiture et seulement 14 en train. «On part en Grèce plutôt qu’à Miami, en Corse plutôt qu’à Cuba», suggère-t-il. Alain Karsenty invite, lui, à «réduire voire supprimer les vols internes à un même pays». À condition bien sûr de développer d’autres infrastructures, comme les trains de nuit.
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Jean-François Rial, PDG de Voyageurs du Monde, n’est pas aussi drastique. Il incite à réduire la voilure et propose de plus en plus de séjours en Europe ou en France, accessibles en train, mais ne milite pas pour un boycott de l’avion. «La voiture, à moins de trois personnes, ce n’est pas très écologique non plus. Et puis si on va dans ce sens, qu’est-ce qu’on fait d’internet et de tout ce qui pollue ? On supprime ?», questionne-t-il. Chez Air France, on a rebroussé chemin après ces accusations. Désormais, on mise sur la technologie. Vincent Etchebehere, responsable du Développement durable et des nouvelles mobilités parle d’investir dans «une flotte moderne qui consomme moins et donc émet moins de gaz à effet de serre, de réduire le poids à bord car plus un avion est léger, moins il consomme de carburant et d’optimiser les trajectoires de vol, un autre moyen de limiter la consommation». Il mise également sur le développement des biocarburants «composés de matière organique comme de l’huile de cuisson usagée par exemple».
D’ici 2030, la compagnie aérienne espère que 10 % de son carburant sera durable. Attentif aux autres avancées technologiques, le groupe français surveille également de très près les promesses de capter du CO² directement dans l’atmosphère grâce aux technologies d’efuels. Problème : «Ça n’est clairement pas pour tout de suite. Il vaut mieux faire prendre conscience aux gens qu’ils peuvent agir maintenant plutôt que de miser sur un pari technologique dans le futur», conclut Hervé Lefebvre, adjoint thématique à la direction adaptation, aménagement, trajectoires à l’ADEME. Qui rappelle : «l’énergie la moins polluante, c’est celle qu’on ne consomme pas».
Alléluia
le
Il n’y a donc que l’avion qui pollue
Aetius 8
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L’humanité produit 37 gigatonnes par an de CO2, et la biosphère… 800 gigatonnes. Personne n’en parle jamais…
Aetius 8
le
Il suffit d’arrêter de respirer, puisque, comme tous les animaux, nous rejetons du CO2.
PSYCHOLOGIE – Après un long voyage ou après avoir vécu à l’étranger, certaines personnes subissent de plein fouet le contrecoup de leur retour. Déprime, sentiment de décalage, nostalgie… Ils racontent.
Le Covid-19 y circule toujours, mais le Maroc a abandonné ses restrictions sanitaires concernant les voyageurs. Quid des autres conditions d’entrée dans le pays ?
PRATIQUE – À l’approche des vacances d’hiver, force est de constater que les règles des compagnies aériennes sont toujours aussi fluctuantes. Quelles sont les grands principes à retenir ?
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Peut-on vraiment «compenser» l’empreinte carbone de son trajet en avion ?
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