Deux journalistes du Monde, Gérard Davet et Fabrice Lhomme, consacrent un livre savoureux à l’ex-homme fort de la Polynésie française. A 81 ans, le sénateur “qui voulut être roi” est un fidèle de Jacques Chirac. Au nom de quelques souvenirs… Florilège exclusif.
French President Jacques Chirac (C) and President of the French Polynesia government Gaston Flosse (R) congratulate a Maori dancer (L) on the atoll of Bora-Bora, July 27, 2003. Chirac made a visit to the atoll on the third day of his trip in the French Polynesia.
L'Express
Comme les personnages légendaires, Gaston Flosse cumule les surnoms. Le “Vieux Lion”, l'”Insubmersible”, “Papa Flosse”, “Gaston” sont les plus répandus. “Paulet” est un sobriquet connu des intimes seulement. Un autre, moins flatteur, revient souvent: “Monsieur 10 %”, allusion au montant de sa supposée commission sur les transactions commerciales d’importance. […]
Gaston Flosse est unique. Roué et cupide, despotique et chaleureux. […] Il s’est entouré d’un service de barbouzes, a pratiqué une politique ouvertement clientéliste, accumulant au passage une jolie fortune. La justice a fini par prendre la mesure du phénomène. Le 1er septembre 2009, la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la Justice s’est ainsi fendue d’un long rapport, confidentiel, récapitulant les onze procédures financières “mettant en cause” Gaston Flosse. […]Au commencement, donc, furent les femmes. Gaston Flosse est entouré de nuées de femmes. Souvent jolies. Toujours utiles. […] Il n’est pas le premier homme politique français à succomber aux joies de la chair. Mais il est l’un des rares à avoir autant abusé de sa position et des fonds de l’Etat français. […]A Papeete, le maître de cérémonie de Gaston, c’était Joseph. Un majordome d’une grande efficacité, aux dires de tous. Joseph a été formé à bonne école: il a été au service, à l’Elysée, de Valéry Giscard d’Estaing puis de François Mitterrand, avant de mettre le cap sur le Pacifique. De 1993 à 2004, il fut de toutes les agapes, présent aux côtés du président Flosse, de l’aube au bout de la nuit. […]Gaston Flosse est l’unique détenteur de la recette du “killer”, cocktail qui en a assommé plus d’un, sans doute parce qu’il se boit aussi facilement qu’un verre de jus de mangue frais. […] Jacques Chirac a pu goûter aux joies du “killer”, lui aussi. Mais il fallait pour cela déjouer la surveillance de Bernadette, toujours aux aguets. […] “Une fois, elle m’a engueulé parce que je versais trop de “killer” à Chirac [raconte l’ex-majordome]. Je l’ai signalé à Gaston, en tahitien. J’ai arrêté de servir le président Chirac. Et lui, il regardait partout, il cherchait quelqu’un pour en avoir à nouveau! A chaque déplacement à Paris, je préparais mon matériel, il fallait tout avoir sous la main pour préparer un “killer” à Chirac. Et puis, tous les deux, ils parlaient ensuite des vahinés…”
Une passion commune pour la gent féminine a très vite rapproché les deux hommes. “Dans ses réceptions, se rappelle Christine Bourne [journaliste et figure locale à Tahiti], Gaston repérait des filles, des jeunettes, des danseuses souvent. Sa technique, toujours la même, c’était: “Allez, goûte mon killer.” […]” En fin politique, Gaston Flosse a su tirer parti des indéniables beautés locales. “Il avait un réseau d’une dizaine de filles attachées à la présidence, assure Christine Bourne. Il disait: “Je lui ai envoyé Unetelle…” à propos des nombreux hommes politiques de la métropole qui lui rendaient visite, qu’ils soient socialistes ou gaullistes. […]Avec Chirac, cela remonte à loin. A la création du RPR, dont Gaston Flosse est l’un des initiateurs. Ces deux-là se reniflent. Se devinent. Ils partagent des valeurs, des engouements, des passions. Chirac aime les femmes, les arts premiers, la boisson qui rend gai, et la politique. Flosse ne peut que s’entendre avec lui. Jamais avare de bons mots, Jacques Chirac, dans l’avion qui l’amène à Papeete, a cette phrase, en juillet 2003: “La Polynésie, c’est bon pour la mine. Et pour le crayon!” […]
Ah, il faut les voir, dans les soirées privées, chez Gaston Flosse! Quand les vahinés se déchaînent, se trémoussent à n’en plus finir, ils sont là, tous les deux, à reluquer les chairs offertes. Une affaire d’hommes… […]L’Elysée, en juin 1997. Tristes mines. La gauche est au pouvoir. Après sa dissolution ratée, Jacques Chirac, président de la République, doit composer avec Lionel Jospin […]. Aucune action ne sera réellement intentée, sur le plan judiciaire ou politique, contre celui qui truste tous les pouvoirs à Tahiti.
Alors premier secrétaire du Parti socialiste, l’actuel chef de l’Etat, François Hollande, au cours d’un entretien qu’il nous a accordé en janvier 2013, s’est parfaitement remémoré cette période de cohabitation durant laquelle le cas Flosse était considéré comme un casus belli par la présidence de la République. “Lors d’un rendez-vous avec lui à l’Elysée, raconte François Hollande, Chirac m’avait dit : “Je ne comprends pas pourquoi vous me faites un procès politique sur Flosse. Temaru [leader indépendantiste] est très dangereux.” J’avais senti que Jacques Chirac, pas pour des histoires de corruption, je ne crois pas, mais pour des raisons de convictions, soutiendrait Flosse jusqu’au dernier moment.” […]Récapitulons. Le palais, le yacht, les résidences, l’avion, la Cadillac, les frais de bouche. Gaston Flosse a tout pour être heureux dans son paradis. […] Pour parfaire le décor, il manque une île. C’est chose faite le 30 juillet 1997, via un arrêté qui permet l’acquisition, par la présidence, de l’atoll de Tupai, 988 hectares de purs délices, à 17 kilomètres de Bora Bora. La facture se monte à 5,6 millions d’euros.
Deux bungalows sur la plage, une unité d’hébergement, deux résidences sur pilotis, une antenne-relais pour les téléphones portables et la télévision… La présidence ne lésine pas sur les installations, au fil des ans. En 2003, pour le voyage en Polynésie de son ami Jacques Chirac, Gaston Flosse a une folle envie: faire dormir sur place son illustre hôte, sans Bernadette de préférence. […]
Le satrape polynésien autorise la construction d’un autre bungalow sur pilotis, plus vaste, destiné au seul Jacques Chirac, dans l’hypothèse de sa venue! Coût: 500 000 euros. Sans permis de construire. Flosse fait même allonger la piste d’atterrissage de 200 mètres, et l’élargit de 11 mètres, afin de permettre aux avions de la République de s’y poser. Echaudée, prudente, Claude Chirac, conseillère à l’Élysée, interdira à son père de s’y rendre. L’opération, globale, grève le budget de la Polynésie de 13,4 millions d’euros. […]Lundi 28 juillet 2003, dernier jour de la visite. Place To’ata, à Papeete, 3 500 invités festoient, en toute intimité. Un petit événement a lieu, sans que quiconque le remarque vraiment. Gaston Flosse offre à son hôte un magnifique u’u, c’est-à-dire un casse-tête marquisien. D’où vient-il? Tahiti Pacifique Magazine lèvera le voile: il a été acheté le 17 avril 2003. Auprès d’un artisan polynésien? Non, l’objet a été acquis… à Paris, lors d’une vente aux enchères! Le prix: 46 000 euros. L’identité de l’acquéreur n’est pas connue. Mais le u’u finit dans les valises de Jacques Chirac. Tout heureux. […]Flosse […] a son grand ami à ses côtés. Deux rois à leur façon. Constamment, faire référence au grand modèle. Jusqu’à le suivre dans ses détestations. Nicolas Sarkozy, par exemple.
Gaston Flosse s’en est très vite fait un ennemi. Il aime raconter comment, un jour, il a emmené le couple Sarkozy donner à manger aux requins, à Bora Bora. Cécilia s’est jetée à l’eau, sans crainte. Pas Nicolas, qui n’a pas osé, se moque-t-il. “Et heureusement que Papa Flosse l’a protégé de Jacques Martin [premier mari de Cécilia]”, s’esclaffe-t-il méchamment en public.
Forcément, ces propos reviennent aux oreilles de Sarkozy. Qui avait déjà dû avaler quelques couleuvres, entre 1993 et 1995, lorsqu’il était ministre du Budget d’Edouard Balladur, et que le président de la Polynésie française venait réclamer de l’argent pour Tahiti. “Quand Sarkozy lui disait non, se souvient Teva Rohfritsch [ancien ministre polynésien du Tourisme], Flosse filait directement à l’Hôtel de Ville de Paris, où il voyait Chirac, qui convoquait dans la foulée Sarko…” Et Flosse finissait par obtenir ce qu’il souhaitait… Comment s’étonner que le très rancunier Nicolas Sarkozy, dès son élection en 2007, ait juré la perte du “conducator” tahitien?
À découvrir
Services partenaires
© L'Express