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A l'occasion d'une exposition, qui se tient jusqu'au 29 août au musée d'Archéologie nationale, à Saint-Germain-en-Laye, nous nous penchons sur un trafic dont l'importance est méconnue, celui des biens culturels.
Après ceux de la drogue et des armes, le trafic de biens culturels est le troisième marché international illicite. Avec les pillages qui l’alimentent, c’est tout un terrain archéologique qui soudain n’est plus en mesure de livrer ses secrets comme le montre et le démontre l’exposition «Passé volé, l’envers du trésor» (Musée d’Archéologie nationale, Saint-Germain-en-Laye, 26 mai-29 août 2022). Entretien avec Daniel Roger, adjoint à la directrice du musée, commissaire de l’exposition.
« Passé volé, l’envers du trésor », c’est-à-dire ?
L’exposition traite du pillage archéologique, sujet hélas d’actualité : un certain nombre de pays en guerre dans la période récente ont subi des pillages très importants, je pense à l’Irak, à la Syrie, à la Libye, au Yémen, aujourd’hui à l’Ukraine. Mais il faut aussi rappeler que l’on pille aussi dans les pays en paix. L’exposition attire notamment l’attention sur certaines affaires, notamment celle qui en 2020 a permis aux douaniers de retrouver quelque 27 400 objets archéologiques chez un particulier de l’est de la France. Il y a un continuum entre les pillages internationaux des pays en guerre et le pillage archéologique sur les sites explorés par les chercheurs du dimanche. Dans un cas comme dans l’autre, on a affaire à des trafics de biens culturels.
Quand un amateur découvre un trésor, n’est-ce pas pour le bien de la collectivité ?
Est-ce vraiment le cas ? La plupart du temps, les détectoristes (les utilisateurs de détecteurs de métaux) mettent immédiatement en vente ce qu’ils découvrent sur des terrains qui ne leur appartiennent pas, en contradiction avec la loi. Dans l’exposition, nous présentons certes quelques cas de détectoristes repentis qui ont fini par informer les services de l’archéologie, mais il y a toujours une perte : à partir du moment où on déterre des objets, on détruit le contexte archéologique dans lequel ceux-ci se trouvent et les précieuses et nombreuses informations qu’une fouille pratiquée dans les règles aurait permis de conserver.
L’archéologue n’est-il pas lui aussi un chercheur de trésor ?
Le but de l’archéologue n’est pas de découvrir des trésors mais de répondre aux questions qu’il se pose. C’est aussi, dans le cadre de l’archéologie préventive, de fouiller des sites avant qu’ils ne soient détruits. L’idéal de l’archéologue est de conserver les vestiges en l’état, de faire des réserves archéologiques pour revenir éventuellement les fouiller plus tard. Ce n’est donc pas du tout la même démarche : d’un côté, il y a ceux qui veulent tout déterrer, de l’autre, ceux qui savent qu’ils ont affaire à un patrimoine qu’il faut protéger le plus possible. Autre différence : les pilleurs cherchent avant tout des objets qui ont de la valeur à leurs yeux, ils ne s’intéressent pas aux objets qui les entourent, alors que l’archéologue va avoir une vision globale du site. Il laissera les choses en place le plus longtemps possible au cours de la fouille, pour comprendre comment elles sont organisées les unes par rapport aux autres. Il va analyser le moindre indice pour essayer d’en tirer des informations.
La France ne semble pas dépourvue de moyens pour lutter contre le trafic de biens culturels
La législation en France encadre strictement l’activité archéologique. Une autorisation de fouilles est obligatoire. Il est nécessaire également d’avoir une autorisation pour utiliser un détecteur de métaux. Les forces de gendarmerie, de police et les douanes sont unies pour lutter contre ces trafics. Enfin, nous disposons d’une législation en matière de contrôle de la sortie du territoire des objets archéologiques : ceux-ci doivent faire l’objet d’un certificat d’exportation délivré par les grands départements comme le Musée d’Archéologie nationale. Nous pouvons éventuellement nous opposer à la sortie du territoire d’un objet dont la valeur lui vaut d’être qualifié de trésor national. Dans l’exposition, nous montrons ainsi 22 monnaies d’origine gauloise qui ont été saisies en 2018 à l’aéroport de Roissy alors qu’elles étaient en partance vers les Etats-Unis sans aucune demande de certificat.
En Grande-Bretagne, les découvreurs sont incités à faire enregistrer leurs découvertes
Le British Museum est à la tête d’une base de données, The Portable Antiquities Scheme (PAS) qui fait le recensement des découvertes que les détectoristes sont obligés de rapporter aux archéologues. Les statistiques que nous avons établies pour les besoins de l’exposition montrent que l’on a véritablement affaire à une exploitation industrielle du patrimoine archéologique anglais. À ce rythme, il n’y aura bientôt plus rien à découvrir à portée de détecteur de métaux parce qu’on aura littéralement épuisé le sol. Oui, l’archéologie est une ressource épuisable. C’est un réservoir limité de matériaux. Quand on aura tout épuisé, nos petits-enfants n’auront plus rien à fouiller et ne pourront pas en savoir plus que nous sur notre passé, alors même qu’ils disposeront de techniques d’exploration supérieures aux nôtres. C’est un cruel paradoxe. Avec de nombreux collègues, nous militons pour la préservation autant que possible du patrimoine archéologique dans le sol.
La chasse au trésor est donc bien une forme de vandalisme…
On paye le prix de cette fascination pour le trésor. Le véritable ennemi de l’archéologue, c’est cette image frelatée véhiculée dans les films ou certains romans qui le représentent comme un aventurier à la recherche de l’objet exceptionnel. L’archéologie, c’est tout le contraire. Ce qui est recherché, ce sont les traces matérielles de la vie quotidienne du passé, qui montrent comment les conditions de vies ont évolué sur le temps long. L’objet exceptionnel n’est pas représentatif à cet égard. Il ne s’agit pas de dire qu’il n’a aucun intérêt, mais le véritable objectif de l’archéologue n’est pas le trésor.
Comment caractériser une visite réussie de cette exposition ?
Nous avons voulu faire naître deux sentiments chez le visiteur : un sentiment de frustration, car l’exposition commence par une vitrine vide – il ne verra jamais ces objets volés – et le sentiment que le patrimoine archéologique est fragile, qu’il faut donc le préserver le plus longtemps possible. Le pillage est la violence ultime que l’on exerce contre ce patrimoine. C’est vrai dans les pays en guerre ; on parle d’antiquités de sang pour dire cette violence extrême. Mais c’est vrai aussi, même si la violence est moins grande, dans les pays en paix, quand on opère la nuit pour donner aveuglément de grands coups de pelle dans la terre.
Première du genre, une convention de partenariat a été signée le 20 juillet dernier entre les services des ministères de la Culture (Direction générale des patrimoines et de l’architecture) et de l’Intérieur (Direction générale de la Gendarmerie nationale) afin d’assurer une meilleure protection du patrimoine archéologique contre les atteintes qui lui sont régulièrement portées (destruction de sites, pillage, recel etc.) Inspirée par la convention de coopération entre la Préfecture de la région PACA et la gendarmerie de Provence – Alpes Côte d’Azur, elle prévoit notamment la mise en place d’un réseau de référents dans chaque administration et pourra faire l’objet de déclinaisons locales afin de l’adapter aux spécificités du terrain.