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Publié le 31 mars 2022 . 

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La Polynésie française est représentée, au sein de la commission interministérielle en charge de l’ouverture des archives des essais nucléaires, par deux personnalités qualifiées : Yolande Vernaudon et Yvette Tommasini.
Il me semble utile de situer tout d’abord pour l’ensemble des lecteurs quelques éléments de contexte de ce que l’on appelle le fait nucléaire en Polynésie française.
Entre 1966 et 1996, la France a procédé à 193 tirs d’expérimentation de bombes atomiques sur les atolls de Moruroa et Fangataufa. L’installation, le développement et l’activité du Centre d’Expérimentation du Pacifique (CEP) ont généré de profondes et durables transformations de ce territoire et de la société qui y vit.
Aujourd’hui, tout le monde s’accorde à dire que les trente années d’expérimentations atomiques françaises ne forment pas une parenthèse qui se serait refermée au démantèlement des infrastructures opérationnelles en 1998. Au contraire, il s’agit d’une question socialement vive, parfois chargée d’émotions, souvent politiquement sensible, intellectuellement complexe et dont les enjeux sont importants pour le présent et l’avenir de notre communauté.
La Polynésie française, pays d’Outre-mer de la République, dont l’autonomie est régie par l’article 74 de la Constitution, se gouverne librement et démocratiquement. Elle s’est dotée à partir de 2008 d’un service administratif auquel elle a confié une mission générale d’observation, de planification, de coordination, d’évaluation, de programmation et de proposition réglementaire en matière de suivi des conséquences des essais nucléaires en Polynésie française : la délégation polynésienne pour le suivi des conséquences des essais nucléaires (DSCEN).
Depuis les années 2000 de nombreuses voix, toujours plus nombreuses, réclamaient à l’État l’ouverture des archives qui nous permettraient de documenter et d’écrire l’histoire du CEP. Citons par exemple les travaux de la délégation polynésienne aux états-généraux des Outre-mer en 2009 : « Notre première attente est un devoir de mémoire : ouvrir les archives et faire toute la lumière sur cette page de notre histoire commune ». Concrètement ces demandes restaient lettres mortes.
En octobre 2018, le pays a signé une convention avec la Maison des Sciences de l’Homme du Pacifique (MSH-P) afin qu’elle réalise un programme de recherche visant à écrire l’histoire politique des essais nucléaires en Polynésie française. Cependant l’ouverture d’archives nouvelles et leur accès pour les chercheurs du projet étaient indispensables afin de permettre la réalisation effective de ce programme. Or, la nature de certains documents dits « proliférants » gelait des cartons entiers de documents et de supports audiovisuels conservés dans divers services d’archives ainsi qu’à l’ECPAD.
L’opération lancée et coordonnée par le ministère des armées visant à organiser une cartographie et un tri systématique des cartons susceptibles de nous intéresser a démarré après la table ronde de haut niveau sur le fait nucléaire qui s’était tenue en juillet 2021 à Paris. À cette date, la MSH-P nous avait remis le manuscrit sur l’histoire du CEP, comme prévu par la convention qui nous liait.
Ce que je veux souligner, c’est que le gouvernement polynésien n’a pas attendu le mouvement d’ouverture des archives pour avoir l’ambition de mieux connaître cette page de notre histoire. Au contraire, il a été audacieux et proactif, et cette démarche a sans aucun doute alimenté la réflexion du côté de l’appareil d’État pour trouver des solutions adéquates à l’enjeu majeur que représente l’accès aux archives pour documenter notre histoire commune.
La Polynésie française mène, en parallèle, d’autres programmes importants pour honorer ce devoir d’histoire envers la société actuelle et les générations futures ; celui d’un centre de mémoire des essais nucléaires et le programme « enseigner le fait nucléaire » porté conjointement par le ministère polynésien de l’Éducation et le vice-rectorat en Polynésie française.
Il y a des réalités géographiques incontournables. Papeete se trouve à 18 000 kilomètres de Paris, plus de vingt heures de voyage en avion quand tout va bien et onze à douze heures de décalage horaire selon les saisons.
De plus, la Polynésie française ne se résume pas à Papeete sur l’île de Tahiti. Il faut à nouveau traverser ou survoler l’océan sur plusieurs dizaines à centaines de kilomètres pour relier les autres îles habitées des cinq archipels polynésiens.
La numérisation et la mise en ligne de tous ces documents et supports permet au citoyen polynésien, à la condition bien sûr qu’il dispose du matériel et de la connexion ad hoc, d’accéder directement à ces informations. Cela permet à chacun de s’assurer par soi-même de la réalité de cette ouverture des archives si longtemps restées secrètes.
Il est toutefois nécessaire d’organiser une médiation, de faire connaître ces archives et aussi d’être en mesure de les contextualiser, de les valoriser. À cet égard la DSCEN prévoit le déploiement d’un fonds documentaire et d’un site Internet.
Avant que Aldébaran, la première bombe du CEP, n’explose au-dessus de l’atoll de Moruroa le 2 juillet 1966, il y a eu d’immenses travaux d’infrastructures, évidemment sur les sites mêmes de tirs, Moruroa et Fangataufa, mais aussi sur les bases arrière : Gambier, Hao, Tahiti… En quelques mois la zone urbaine de Tahiti a été complètement transformée : immense remblai pour agrandir le port de Papeete, digue pour le protéger, extraction de gravats dans les rivières, et de terre sur les collines environnantes, élargissement des routes, etc.
Ces travaux, gigantesques à l’échelle de la société polynésienne d’alors qui était majoritairement rurale, ont nécessité tellement de main-d’œuvre que celle-ci était recrutée jusque dans les autres îles de Polynésie. Les familles ont alors rejoint leurs époux et pères en s’installant vaille que vaille dans la zone urbaine de Papeete.
Ces aspects de l’impact du CEP sont actuellement très peu renseignés et documentés. Ils sont même ignorés des nouvelles générations.
La comparaison entre les photographies et les films d’alors avec des images plus récentes ou ce que l’on peut observer à l’instant présent vaut mieux que de long discours pour comprendre l’ampleur de ces évolutions et s’imaginer leurs impacts sur la vie quotidienne des Polynésiens d’alors.
Bien sûr, même sans CEP il y aurait eu une évolution de la société polynésienne, un exode rural, une transformation des modes de vie, une modification de l’environnement, une urbanisation, pour le meilleur et pour le pire.
Toutefois les images, celles des années soixante notamment, montrent une accélération brutale et impréparée de l’occupation de l’espace qui est totalement imputable au CEP. Cela remet aussi quelques idées en question par rapport aux dynamiques d’aménagement du territoire et à leur anticipation par les décideurs successifs.

Image de Une
11-26 mai 1976 – Polynésie française
Vue aérienne de Papeete.
Réf. : F76-255 RC8
© Pierre Ferrari/ECPAD/Défense
Un livre sur l’opération Serval, dix ans après
L’ECPAD poursuit sa politique d’acquisition de photographies
Le site ImagesDéfense ouvre la vente d’images en ligne pour les particuliers

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