Le sable blanc et rose d’un motu (îlot en tahitien) inhabité de l’atoll de Fakarava, dans l’archipel des Tuamotu.
La Polynésie française est imaginée comme un paradis perdu de carte postale, or elle a beaucoup plus à offrir. Démonstration dans le premier épisode de notre reportage.
«C’est déjà la saison du mape», constate avec étonnement Mireille Grugeard, dite Mimi. Cela signifie qu’en cette fin du mois d’octobre, la saison sèche s’achève prématurément et que celle des pluies se profile. D’ailleurs, il y a eu des averses ces derniers jours. Mimi, la gérante de la Villa Enata, une pension de famille (appellation locale pour un bed & breakfast) sur l’île de Hiva Oa, dans l’archipel des Marquises, arpente le site archéologique d’Upeke, qui s’étend sur 3 hectares. Là, poussent une multitude de bananiers garnis de régimes. Elle repère, pour une prochaine visite, les bananes sur le point d’être mûres. Le mape (prononcez mapé) dont elle parlait est, lui, le fruit du châtaignier tahitien. Elle en ramasse un à terre: «Celui-ci est vide. Quelqu’un a déjà pris son amande».
Les reliefs de l’île de Hiva Ova.
Un paysage tourmenté par les éléments.
Cette grosse châtaigne est un aliment très populaire en Polynésie française. Elle est consommée tiède après cuisson. Ce moment de l’année est l’équivalent de la période des marrons chauds en Europe. À plus de 1400 kilomètres de Hiva Oa, dans les rues de Papeete, capitale de la collectivité d’outre-mer française sur l’île de Tahiti, des marchands ambulants les vendent en sachet de quatre ou cinq au prix de 250 francs Pacifique (env. 2 francs 50). Le mape pousse aussi à Tahiti – on en trouve de magnifiques spécimens au jardin botanique, à la campagne et à la montagne – mais pas dans la ville de 27’000 habitants, la plus peuplée du «Pays», comme disent et écrivent certains.
Un vendeur de mapes, à Papeete.
Un sachet de châtaignes tahitiennes.
Les citadins ne prennent pas souvent le temps d’aller s’approvisionner eux-mêmes. C’est tout le contraire à Hiva Oa où résident, sur toute l’île, près de 2250 personnes. Leur rythme de vie est plus calme. Ils s’adaptent à celui des éléments. Sur cette terre volcanique, par exemple, il est inimaginable d’aller se balader sans un sac et une machette pour la cueillette Après plusieurs mois de sécheresse, les averses ont réveillé les sols. L’île est verte, les fruits abondent.
Les ruches de Linnea Rocher,
apicultrice à Hiva Oa.
Le cheval marquisien.
À Hiva Oa, le grappillage n’existe pas. Quand les promeneurs s’aventurent dans une propriété privée (elles sont vastes et peuvent avoir la taille d’une vallée), ils demandent la permission de prendre quelques fruits qui leur sont offerts. En cette période, ils trouvent des petits citrons jaunes qui servent à la cuisine et à la préparation de la citronnade. Ils cueillent les agrumes sur les branches et dédaignent ceux tombés sur l’herbe. Chez eux, les Marquisiens ne savent plus quoi faire avec de telles quantités après avoir préparé mets, desserts et mille pots de confitures. Dans les jardins poussent des pamplemousses blancs sans acidité, des mangues, des petites bananes, des papayes et, un peu partout, des noix de coco qui composent un savoureux petit-déjeuner.
Clair et doux, le pamplemousse
des Marquises.
La citronnade à toute heure
de la journée.
Les caprices du ciel sont pleinement vécus comme une cause directe du dérèglement climatique. Ici, on craint en premier lieu pour le fenua, mot englobant les notions de terre, d’environnement et de pays. Les principales ressources économiques sont la pêche et la culture du coprah, la noix de coco à partir de laquelle est produite l’huile parfumée à la fleur de tiaré. Elle est mondialement connue sous le nom de monoï. Et ce ne sont pas les quelques voyageurs venus se recueillir sur la tombe de Paul Gauguin jouxtant celle de Jacques Brel dans le cimetière d’Atuona qui stimuleront l’activité touristique. Nous ne sommes pas à Bora Bora, le Saint-Tropez des îles Sous-le-Vent. D’ailleurs, il n’y a qu’un seul hôtel à Hiva Oa. Les Marquises chérissent leur isolement, ce qui n’empêche pas les habitants d’être, dans leurs pensions, des hôtes charmants et attentionnés. Contrairement aux touristes, eux ne rêvent pas d’un ciel bleu de carte postale. La pluie est un bienfait parce qu’elle activera une terre nourricière dans une région où l’approvisionnement se fait, par bateau, au compte-gouttes et à prix d’or.
La tombe du peintre Paul Gauguin.
Les Polynésiens sont de solides mangeurs. «Pour faire fortune, il faut ouvrir un commerce de bouche», disent les locaux. En dehors des végétaux et du poisson, base de l’alimentation traditionnelle, ils ingurgitent de grandes quantités de féculents, de fritures, de produits industriels gras, de sucreries et de sodas. La vahiné filiforme dansant au son du ukulélé est un stéréotype éculé. Le surpoids (70% de la population) et l’obésité (40% de la population) sont un problème de santé publique. Cela s’est davantage fait ressentir durant la crise sanitaire en accentuant les symptômes des patients frappés par le Covid-19 cause d’une mortalité élevée. À Papeete, les fast-foods sont très fréquentés. Il n’y en a pas à Hiva Oa où l’on trouve quelques roulottes flanquées de tables en plein air. Après tout, la journée, la température constante est de 26°C à l’année.
On joue à la pétanque, le dimanche.
Le beau temps est une notion subjective. Il existe des touristes qui aiment les nuages. La pluie ne les dérange pas vraiment. Ce sont les habitants de Los Angeles. Ils constituent d’ailleurs la principale clientèle de la Polynésie française, devant les Français, et fuient la canicule et les incendies, fléaux de la Californie, alors que les Européens, eux, sont en quête de plages ensoleillées. Les Américains, comme la plupart des voyageurs, sont magnétisés par Bora Bora, mais certains ne craignent pas de s’aventurer sur l’archipel des Tuamotu. Celui-ci comprend les îles Palliser dont Rangiroa et Fakarava, les plus populaires.
L’atoll de Fakarava,
vu à travers le hublot d’un avion.
Ce sont des atolls, des îles très anciennes qui se sont affaissées dans l’océan. Ne restent qu’un récif corallien et quelques bandes de terres arides. On observe ces lagons d’un azur hypnotisant depuis l’avion qui relie Tahiti aux Marquises. Le contraste ne peut être plus flagrant entre ces deux régions. D’ailleurs, les Marquisiens conseillent de faire le plein de fruits chez eux avant de s’y rendre parce qu’il ne pousse que des cocotiers sur les atolls.
L’îlot inhabité de Tetamanu.
La cabine est encore en activité.
Un musicien dans un bus.
En réalité, les voyageurs qui atterrissent à Fakarava, nouvelle destination à la mode, viennent pour la plongée. Les eaux limpides sont une vitrine pour observer des centaines de poissons colorés parmi les raies et les requins. Nageurs et prédateurs vivent en bonne intelligence. À Tetamanu, motu (îlot en tahitien) situé à 70 kilomètres au sud de l’île, se déploie un mur de requins, point fort de toute expédition sous-marine. Pas besoin d’être un plongeur aguerri pour évoluer parmi des centaines de squales. L’expérience est sidérante.
L’alternative «tranquille» consiste à faire du snorkeling dans cet environnement préservé. Les guides sont à la fois marins, cicérones et pêcheurs. Armés d’un harpon, ils percent les poissons perroquets et chirurgiens qui seront grillés sur le motu désert. Ce repas, agrémenté, en entrée, de poisson cru à la tahitienne (tartare de thon au lait de coco) est une opportunité unique pour vivre une expérience à la Robinson Crusoé.
2e épisode: vendredi 19 novembre à midi.
La Villa Enata, pension de famille
à Hiva Oa.
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Havaiki Lodge, hôtel balnéaire
à Fakarava.
Le voyage a été offert par Tahiti Tourisme et Air Tahiti Nui* afin de réaliser ce reportage.
*La compagnie aérienne propose à ses passagers de compenser volontairement les émissions carbone de leur voyage.
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