Voyage Le « Grand Chemin » vers les Marquises
Pacifique Aux perruques et aux corsets, ces Marquises-là préfèrent les tatouages. Gardiennes isolées d’une culture ancestrale, elles règnent sur l’immensité océanique. Le cargo mixte Aranui est un de leurs rares liens avec l’extérieur
Avec leurs falaises battues par la houle du grand large, leurs pitons dressés vers les nuages et leurs plages de sable brun, les Marquises ne répondent pas exactement à la définition des îles paradisiaques. Brutes et sauvages, elles trônent seules en plein milieu du Pacifique. Deux avions par semaine leur offrent un mince trait d’union avec la civilisation. Mais pour rejoindre ce bout du monde depuis Tahiti, la voie royale est celle de l’océan.
Héritier des anciennes goélettes d’approvisionnement, l’Aranui ou « Grand Chemin » transporte fret et passagers vers l’archipel deux fois par mois. À 15 nœuds de vitesse moyenne, ces derniers ont tout le temps de savourer le voyage, dans le sillage d’illustres prédécesseurs, comme Melville, Stevenson, Segalen ou London.
Ce cargo mixte rythme la vie des Marquises. Son arrivée est à chaque fois une fête que toutes les îles se font un devoir de célébrer. Chacun en attend quelque chose : des vivres, du matériel, une voiture, le retour d’un proche parti travailler à Tahiti… Entre deux éclats de rire, les hommes s’affairent autour des barges pour décharger le matériel tant attendu. À la place, ils entreposent du coprah, la pulpe de coco séchée dont on extrait de l’huile à Tahiti.
À bord, les passagers sont en contact permanent avec la culture polynésienne. Le personnel forme une grande famille dont ils se sentent vite intimes grâce à la petite taille du bateau et à l’usage généralisé du tutoiement, mais aussi grâce aux conférences et aux animations quotidiennes.
L’Aranui 5 commence sa tournée bimensuelle par la plus grande des Marquises, Nuku Hiva. Après deux jours en mer, l’accostage dans la baie de Taiohae, la capitale administrative de l’archipel, a toujours un goût d’aventure. Seconde escale du cargo mixte, Ua Pou se distingue par son relief hérissé de pics et par son dynamisme culturel. La côte déchiquetée d’Ua Huka oblige ensuite le bateau à une manœuvre spectaculaire, au plus près des falaises de Vaipaee, sous le regard dubitatif des chèvres et des chevaux sauvages.
Attendue par tous les admirateurs de Paul Gauguin et de Jacques Brel qui y reposent en paix, Hiva Oa possède aussi un très riche ensemble de tikis, ces sculptures anthropomorphes qui sont le siège du mana et des croyances ancestrales. À quelques encablures, Tahuata est la plus petite des six îles habitées. Puis vient enfin Fatu Hiva, la plus méridionale. Les passagers de l’Aranui y sont conviés à une mémorable randonnée sur les hauteurs verdoyantes, avant que l’archipel ne retrouve sa solitude.
Selon la légende, les Marquises furent créées en une nuit. Alors que le monde n’était qu’un océan, Oatea vivait sans maison, avec sa femme Atanua. Lorsque celle-ci lui réclama un logis, il invoqua les dieux et se mit à la tâche. Le soir même, il érigea deux piliers, figurant l’île d’Ua Pou. Il plaça ensuite la poutre faîtière (Hiva Oa) devant soutenir le toit (Nuku Hiva), couvert par neuf palmes de cocotier (Fatu Hiva). L’ouvrage fut terminé à l’aube (Tahuata) et les restes du chantier rassemblés dans une fosse (Ua Huka). Voilà comment fut dessinée Te Fenua Enata, « La Terre des Hommes ».
Au cœur du plus grand des océans, cet archipel est éloigné de tout. À plus de 5.000 kilomètres du continent américain et 9.000 de l’Australie, les Marquises sont les îles les plus isolées de la planète. Elles furent pourtant le tout premier foyer du peuplement polynésien, dès le début de notre ère. Leur rencontre avec les Européens date de 1595.
Partis du Pérou, quatre navires espagnols commandés par don Álvaro de Mendaña, jetèrent l’ancre devant l’île de Tahuata. Pour honorer l’épouse de son souverain, la marquise de Canete, le chef de l’expédition baptisa ces nouvelles terres Las Marquesas. Ce premier contact, qui aurait laissé 200 morts et quelques maladies, n’était qu’un lointain souvenir lorsque l’explorateur Abel Dupetit-Thouars prit possession de l’archipel au nom de la France en 1842.
Ce nouveau contact avec l’Europe fut encore plus dévastateur. L’administration des îles fut rapidement confiée aux missionnaires catholiques, qui ne voyaient pas d’un bon œil les pratiques locales d’amour libre, de tatouage et de cannibalisme rituel. Pour ramener les Marquisiens dans le droit chemin, l’évêque Dordillon édicta un « code » prohibant, les unes après les autres, toutes les traditions.
Cette « bonne parole » tyrannique et l’introduction de nouveaux virus firent passer la population des Marquises de 50.000 à 2.000 habitants en un siècle ! Il fallut attendre les années 1920 et la promotion de nouvelles normes d’hygiène par le docteur Rollin pour voir la courbe démographique remonter. Aujourd’hui, les six îles habitées de l’archipel comptent 10.000 âmes bien décidées à retrouver et à défendre leur identité.
Avant l’arrivée des Européens, les connaissances et les coutumes se transmettaient oralement dans les vallées marquisiennes. Mais devenues silencieuses après deux siècles d’interdits, les îles ont fini par perdre tous leurs repères. Conférencier sur l’Aranui, Ben Teikitutoua explique que dans les années 1970 « les Marquisiens étaient perçus comme des sauvages bouffeurs d’oreilles » à Papeete. La frustration générée par ces préjugés, mais aussi par l’hégémonisme de Tahiti, est à l’origine du renouveau marquisien.
Cette dynamique coïncide avec la nomination de monseigneur Hervé Le Cleac’h à la tête de l’évêché des Marquises. Dès son arrivée en 1972, l’homme de foi s’était ému que les Marquisiens n’aient jamais pu prier dans leur propre langue. Lorsqu’en 1977 un arrêté imposa le tahitien comme langue obligatoire dans toutes les écoles de Polynésie française, trois courageux instituteurs d’Ua Pou réagirent enfin. Ben Teikitutoua était l’un d’eux.
Grâce au soutien de l’évêque, ils montèrent l’association Motu Haka visant à défendre leur langue. Puis ils se mirent à glaner dans les vallées toutes les bribes résiduelles de traditions. Chants, légendes, tambour, tatouage (patutiki), cuisine, sculpture, étoffe végétale (tapa)… Petit à petit, le puzzle culturel se reconstituait. Et en 1985, les Marquisiens furent autorisés à enseigner leur langue à l’école primaire. Une exception dans toute la Polynésie !
La même année, les Marquises participaient pour la première fois au Festival des arts du Pacifique Sud. Mieux, elles en faisaient l’ouverture. Dès lors, la reconquête identitaire allait s’accélérer. Aujourd’hui, elle s’exprime notamment à travers l’artisanat et lors de festivals qui réunissent tous les deux ans une délégation de chaque île.
La visite présidentielle de 2021 fut une consécration pour le travail de Ben et de ses amis. Jamais un chef de l’État français ne s’était rendu aux Marquises. Accueilli comme un roi sur Hiva Oa par six cents danseurs et musiciens, Emmanuel Macron a appuyé la demande d’inscription mixte, culturelle et naturelle, de l’archipel au Patrimoine mondial de l’Unesco. En attendant, la culture marquisienne rayonne dans le monde entier à travers son meilleur ambassadeur : le tatouage. Un souvenir indélébile que les passagers de l’Aranui peuvent même s’offrir à bord.
Y aller
Air Tahiti Nui propose cet été jusqu’à sept vols par semaine à destination de Papeete. Depuis Paris, le trajet dure 21 heures, auxquelles s’ajoute une escale technique à Los Angeles pour laquelle il est nécessaire d’obtenir une autorisation ESTA. Les autres conditions pour voyager vers la Polynésie française sont mises à jour sur le site de la compagnie.
Croisière
Le voyage à bord de l’Aranui 5 est exceptionnel à double titre. Pour sa destination d’abord, les îles Marquises. Et pour sa vocation de cargo mixte. Navire de ravitaillement pouvant transporter 1.700 tonnes de fret, il offre aussi tout le confort d’un bateau de croisière à 230 voyageurs : piscine, service à table, bars, spa… Conforme à la réglementation internationale Marpol sur la pollution en mer, le navire met tout en œuvre pour maîtriser son impact sur l’environnement, de la gestion de la climatisation, au tri des déchets, en passant par le traitement des eaux de ballast et l’éclairage LED.
Au départ de Tahiti, l’Aranui 5 navigue jusqu’aux Marquises, en passant par les Tuamotu. Ce périple de 12 jours/11 nuits est l’unique moyen de découvrir les six îles habitées de l’archipel. En pension complète, comprenant les excursions guidées et le vin lors des repas à bord, les tarifs débutent à 2.851 € en dortoir et à 4.580 € par personne en cabine double. À noter que toutes les catégories de cabines (à l’exception des dortoirs) bénéficient de réductions sur les départs du 07 mai au 27 août 2022.
Le voyage du 2 au 13 juillet donnera l’occasion aux croisiéristes d’assister au Festival des arts des Marquises lors de l’escale à Fatu Hiva. Avec pour thème cette année « La Langue, héritage ancestral », l’événement culturel s’articulera entre danses, chants, jeux, artisanat et gastronomie.
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