C’est une belle histoire et cela va rappeler des souvenirs aux anciens de la patrouille maritime !  Le 19 janvier, l’un des avions de surveillance Gardian de la flottille 25F basés en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, s’est posé sur l’Illawarra Regional Airport, à une centaine de kilomètres au sud de Sydney, en Australie. C’est là que se trouve l’Albion Park et l’HARS Aviation Museum, société australienne dont les passionnés, pour beaucoup des anciens de la Royal Australian Air Force (RAAF) ou de la compagnie nationale Qantas, remettent en état de vieux avions. Parmi eux, un ancien Neptune de la Marine nationale, prédécesseur de l’Atlantic puis de l’Atlantique 2. Sur les centaines d’appareils produits aux Etats-Unis à partir de la fin de la seconde guerre mondiale, il n’en reste que quatre dans le monde encore en état de voler.
 

Rencontre entre le Gardian et le Neptune le 19 janvier (© : HARS AVIATION MUSEUM)

Rencontre entre le Gardian et le Neptune le 19 janvier (© : HARS AVIATION MUSEUM)

Rencontre entre le Gardian et le Neptune le 19 janvier (© : HARS AVIATION MUSEUM – GEOFF SHEPPARD)
 
 

L’équipage du Gardian découvrant le Neptune (© : FAIRFAX MEDIA – ADAM MCLEAN)
 
Les P2V-6 et P2V-7 de la Marine nationale
Le P-2 (ou P2V) est pour mémoire un avion d’origine américaine, fabriqué par Lockheed et dont le prototype a réalisé son premier vol en mai 1945. Il a été spécialement conçu pour la patrouille maritime et la chasse aux sous-marins, avec la volonté de disposer d’un appareil à grand rayon d’action, très robuste, simple à construire et facile à entretenir. Il entra en service en 1947. Différentes versions furent produites au fil du temps pour l’US Navy et différents pays, dont les générations P2V-6/7, mises en œuvre notamment par l’aéronautique navale française, qui prit livraison d’un total de 64 Neptune.
 
 

Anciens Neptune français, ici à Oran en 1963 (© : MER ET MARINE – JEAN-LOUIS VENNE)
 

Images d’archives des Neptune américains
 
Longs de 28 mètres pour une envergure de 31.6 mètres et une masse maximale au décollage de plus de 36 tonnes (22 à vide), les P2V-7 (ou P-2H), dont fait partie l’ancien appareil français conservé en Australie, étaient des bimoteurs à hélices (deux Wright R3350-32W de 3700 cv) pouvant dépasser la vitesse de 300 nœuds (180 en croisière) et franchir plus de 3500 km. Equipés notamment d’un radar de surveillance maritime et d’un détecteur d’anomalie magnétique pour repérer les sous-marins, ils pouvaient mettre en œuvre des bouées acoustiques, des torpilles, bombes, mines et charges de profondeur. 
De la chasse aux sous-marins soviétiques à la surveillance dans le Pacifique
L’ancien appareil français conservé à l’HARS Aviation Museum est sorti de l’usine Lockheed de Burbank début 1959 et a été livré directement à la Marine nationale. Il s’agit du 566, d’abord employé depuis la base de Lann-Bihoué au sein des flottilles 23F et 25F. Il intervenait en Atlantique, au beau milieu de la Guerre Froide, pour des missions de lutte anti-sous-marine. Puis au début des années 80 il termina sa carrière à Tahiti comme appareil de surveillance de la zone économique exclusive française en Polynésie. Il était alors rattaché à l’escadrille 12S, un autre Neptune étant employé pour les mêmes missions par la 9S stationnée en Nouvelle-Calédonie.Réactivée en septembre 2000, la 25F, qui arme aujourd’hui cinq Gardian basés à Faaa (Papeete) et Tontouta (Nouméa), a repris les missions et moyens des 9S et 12S, dont elle est devenue par conséquent l’héritière. La visite de courtoisie du 19 janvier constituait donc pour les marins français qui y ont participé une double plongée dans l’histoire de la flottille. D’abord du temps où la 25F assurait des missions de patrouille maritime avec des Neptune, et aussi lorsque ces appareils étaient employés par les 9S et 12S. 
« Il était réellement exceptionnel », « c’était un avion d’équipage »
Ces avions ont laissé un fort souvenir à ceux qui ont servi à leur bord, à l’image de Jean-Claude Guillot, qui a piloté le 566 en 1970-1971 et que nous avons interrogé sur ce appareil :  « Parmi les divers planeurs, avions et hélicoptères que j’ai pilotés le Neptune reste l’avion que je préfère, il était réellement exceptionnel. Ce n’était pas une adaptation d’un avion existant mais un avion conçu dès l’origine pour la patrouille maritime, pour combattre et toujours ramener à sa base son équipage quelles que soient les avaries subies en vol. Ainsi par exemple la roulette de nez pouvait être sortie à l’aide d’un extincteur CO2 de cabine qui pouvait être percuté dans le circuit hydraulique du train avant… C’était un avion d’équipage, nous étions une douzaine à bord, en équipage constitué pour trois ans, c’est dire la cohésion qui nous liait pendant des vols de 12 heures », explique l’ancien officier français, qui est devenu membre de l’HARS et a entrepris de réunir autour de l’histoire de cet avion des passionnés français et australiens auxquels se joignent désormais des américains. 
Définitivement retiré du service en 1984, année où les derniers Neptune employés par l’aéronautique navale dans le Pacifique voient leur remplacement assuré par les nouveaux Falcon 200 Gardian, le 566 reste dans un premier temps sur l’aéroport de Faaa, près de Papeete. « Destiné à être incendié pour l’entrainement des pompiers de Faaa, il avait été parqué dans une zone marécageuse dans laquelle il s’était enfoncé au point de ne plus pouvoir être approché ni déplacé. Devenu un terrain de jeu il avait été quelque peu pillé », explique  Jean-Claude Guillot. Comme bien d’autres appareils déclassés, il est voué à se dégrader sur place avant d’être ferraillé à plus ou moins longue échéance. Un sort dont il fut sauvé grâce à l’intérêt des Australiens de l’HARS.  
Donné en 1987 et remis en état par l’association à Papeete
En 1987, la Marine nationale fait don du 566 à l’Historic Aircraft Restoration Society, qui est une association encore jeune puisque fondée en 1979 et qui n’a pas encore récupéré de gros appareil. « À bien des égards, le 566 a joué un rôle important dans le lancement de l’HARS, en ce sens qu’il s’agissait d’un des premiers aéronefs acquis et il a indirectement conduit à la découverte et au rapatriement de notre Super Constellation. Quelques années après son retrait du service, des pilotes et ingénieurs passionnés ont été capables de le remettre en état et de le faire voler entre Tahiti et l’Australie », explique à Mer et Marine Geoff Sheppard, membre de l’association. Pour y parvenir, les volontaires australiens ont multiplié pendant près de deux ans les allers-retours vers Papeete afin de redonner vie à l’avion. Précédé par un vol d’essai concluant, le convoyage vers l’Australie intervient du 12 au 15 juillet 1989, l’avion décollant de Papeete pour rallier Brisbane via les Fidji. Il rejoint dans un second temps les installations de l’HARS au sud de Sydney. Pour l’anecdote, précise Jean-Claude Guillot, le Gardian n°77, celui qui est venu le 19 janvier à Illawarra depuis Nouméa (après 2H40 de vol), avait justement escorté le Neptune 566 lors de son départ de Papeete. 
Trente ans plus tard, le vieil avion est, comme ont pu le constater les marins français venus le 19 janvier sur l’aéroport d’Illawarra, dans un état remarquable grâce au travail constant mené par l’HARS pour le conserver. « Bien qu’il n’a pas volé depuis des années, il est complet, ses moteurs fonctionnent et il dispose de ses systèmes de base. Il nécessiterait simplement un entretien approprié pour revenir dans les airs », confirme-t-on au musée. 
 

Bob De La Hunty, chef pilote et président d’HARS, qui était déjà là au moment du sauvetage du Neptune 566, avec le commandant Cyril Gennari de la 25F (© : HARS AVIATION MUSEUM)
 
« Le HARS possède des compétences hors normes »
Quant à l’opportunité de faire venir un Gardian de la 25F en Australie, elle découle de la conjonction d’un besoin de la flottille, et de la curiosité comme de la passion pour l’histoire aéronautique des marins volants de cette unité. « Nous devons effectuer au minimum deux fois par an un entraînement sur un terrain à haute densité de trafic aérien ; en mettant à jour notre cahier de marche à la flottille. Nous sommes tombés sur un article de presse relatant le convoyage d’un Neptune vers l’Australie en 1989. Également passionné d’aviation “ancienne”, nous avons pris contact avec le HARS. La suite s’est naturellement enchaînée avec un entraînement à caler sur Sydney car je profitais d’une visite au détachement 25F stationné à Nouméa qui est également sous mes ordres, et qui me permettait de se rapprocher de l’Australie », explique le capitaine de corvette Cyril Gennari. Et le commandant de la 25F ne regrette pas le déplacement : « La journée a été chargé en partages et histoire, je retiens que le HARS possède des compétences hors normes pour faire voler et restaurer autant d’aéronefs différents mais la passion couvre souvent la raison… ces gens passionnés ne demandent qu’à transmettre leur expérience car dans quelques années, sans transmission de savoir, il sera difficile de faire la même chose ».
 

Quelques jours avant la visite des marins français (© : HARS AVIATION MUSEUM)

Rallumage des moteurs le 19 janvier lors de la visite de la 25F (© : HARS AVIATION MUSEUM)
 
La superbe collection de l’HARS Aviation Museum 
S’il est maintenant immatriculé en Australie, le 566 a conservé, comme le veut la tradition, sa livrée aux couleurs de l’aéronautique navale française. On notera que le musée compte un autre P2V-7 Neptune, qui a volé au sein de la Royal Australian Air Force (en charge des missions de patrouille maritime en Australie) de 1962 à 1977. Il a été acquis par l’HARS en 1988 et vole toujours, seuls deux autres appareils de ce type, conservés aux Etats-Unis, en étant capables.
 

Images d’archives de l’arrivée des Neptune en Australie en 1962
 
En dehors des Neptune, l’HARS dispose d’une magnifique collection d’appareils en exposition statique et beaucoup d’autres en état de vol, dont un superbe hydravion PBY-6A Catalina datant de 1945, type d’appareil avec lequel, aime-t-on expliquer aux visiteurs du musée, Qantas réalisait pendant la seconde guerre mondiale des vols de 32 heures, avec double lever de soleil, entre Perth et le Sri Lanka. Il y a également là, parmi bien d’autres, un C-121C Super Constellation de 1955, le premier Boeing 747-400 de Qantas que la compagnie australienne a offert au musée en 2015 ou encore deux DHC-4 Caribou, avions de transport canadiens à décollage et atterrissage courts (en 220 et 200 mètres respectivement) datant de 1964/65 et dont un seul autre exemplaire est en état de vol dans le monde (voir tous les appareils sur le site de l’HARS).
 

Nord 1002 (© : HARS AVIATION MUSEUM)
 
Un Mirage III et un ancien Nord 1002 en cours de restauration
Il y a même deux avions de construction française sur place : un ancien chasseur Mirage III de Dassault Aviation et, plus insolite, un avion de liaison Nord 1002, qui n’est autre que l’un des Messerschmidt Bf 108 de conception allemande produits à partir de 1942 aux Mureaux, près de Paris, au départ pendant l’occupation allemande. Rebaptisés après la libération, ces Bf 108 D1 ont été fabriqués à près de 200 exemplaires par la SNCAN et sont aussi connus sous le nom de Nord Pingouin. En cours de restauration, celui dont dispose HARS est un ancien de l’aéronautique navale française, retiré du service en 1962. Il fut alors vendu à un collectionneur belge puis racheté par Franz Stigler, considéré comme l’un des As de la Lutfwaffe durant la seconde guerre mondiale et qui s’illustra en décembre 1943 en refusant d’abattre un B-17 américain gravement touché au dessus de l’Allemagne, escortant le bombardier américain jusqu’à la mer du Nord. Installé au Canada après le conflit, Franz Stigler rencontra pour la première fois, en 1990, le pilote du B-17, Charlie Brown. Il devindrent amis et décédèrent tous les deux en 2008.  
En matière de patrouille maritime le musée s’est également vu offrir par la RAAF un P-3C Orion, qui avait succédé au Neptune et est actuellement remplacé par le nouveau P-8A Poseidon. L’appareil en question date de 1978 et a rejoint l’Albion Park en décembre 2016. L’HARS dispose donc d’une collection assez incroyable et unique, avec des machines chargées d’histoire dont l’ancien Neptune 566 de la Marine nationale fut l’une des premières pièces. « Cet avion d’équipage a retrouvé au HARS un nouvel équipage. Le 566 est un des éléments créateurs de l’HARS et il a été le point de départ du développement exceptionnel de cette société. Celle-ci est constituée de passionnés, anciens de la Royal Australian Air Force et de la compagnie nationale Qantas, qui se retrouvent avec un authentique esprit d’équipage pour restaurer, entretenir et surtout faire voler des aéronefs qui ont marqué l’histoire mondiale de l’aviation. Pour les passionnés d’aviation, l’escale à Illawarra deviendra bientôt incontournable », estime Jean-Claude Guillot. 
La 25F dans l’attente d’AVSIMAR
Quant à la 25F, elle se prépare à changer une fois de plus d’appareils avec l’arrivée d’une nouvelle génération d’avions de surveillance maritime qui vont être produits dans le cadre du programme AVSIMAR. Développés par Dassault Aviation sur la base du biréacteur civil Falcon 2000 LXS, ces nouveaux avions succèderont aux cinq Falcon 200 Gardian basés en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie, puis aux huit Falcon 50 mis en œuvre depuis la métropole par la flottille 24F. Treize AVSIMAR sont prévus, la commande devant intervenir en 2020. Un premier contrat portant sur sept avions sera notifié, avec une option pour six supplémentaires à affermir en 2025. Les trois premiers appareils doivent être livrés en 2024 et 2025, les dix autres devant suivre entre 2026 et 2030.
 

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